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Télékinésie et crises d'angoisses

Dernière mise à jour : 1 mars


Et si l’anxiété vous permettait de bouger des choses avec la pensée ?

Et si l’anxiété vous donnait des pouvoirs de télékinésie ?



Mercredi dernier, cela faisait 5 ans que la série I am not okay with this était sortie. Tirée d’une BD de Charles Forsman, elle est ensuite adaptée sur Netflix par Jonathan Entwistle. Auteur dont les autres BD ont aussi été adaptées en série, notamment The End of The Fucking World, également réalisée par Jonathan Entwistle. Elle ne contient que 7 épisodes, dont la durée varie entre 19 et 28 minutes. Si l’on met les épisodes bout à bout, la série constitue à elle-même un film de 2h30 environ. 

Malheureusement, celle-ci tombe rapidement dans l’oubli et la suite ne verra jamais le jour, malgré de nombreuses pétitions lancées. Pourtant, la série avait tout pour plaire. Peut-être trop. Lorsque Netflix produit une trop bonne série, celle-ci se doit d’être soit annulée, soit renouvelée en dizaine de saisons jusqu’à temps que le scénario ne fasse plus aucun sens (cf : Riverdale). 


[De gauche à droite] Sophia Lillis, Wyatt Oleff, Richard Ellis et Sofia Bryant dans I am not okay with this (2020)
[De gauche à droite] Sophia Lillis, Wyatt Oleff, Richard Ellis et Sofia Bryant dans I am not okay with this (2020)


Vie réaliste, ados crédibles

I am not okay with this est ce que l’on appelle une teen série. Elle met en scène la vie d’adolescents ("teens"), leurs problèmes de cœur, l’ennui mortel des cours, les disputes familiales, les fêtes alcoolisées, et surtout le tant attendu bal de promo. 

Ici, la jeunesse décrite est très réaliste. Les adolescents sont tous maladroits, mal à l’aise, bizarres. Ils sont perdus et on découvre avec eux le monde qui les entoure. Tout d’abord, ils sont joués par des adolescents eux-mêmes. En effet, le casting a entre 16 et 22 ans, ce qui rend leur performance bien plus crédible que des adultes de 30 ans. La série reprend les codes classiques narratifs de la teen série habituelle, mais avec des ados de tous les jours. De plus, les personnages ne sont pas dans cette dichotomie simpliste entre gentils et méchants lycéens. Ils sont tous imparfaits, font des erreurs mais pourtant, on s’attache à eux très rapidement. 


Syd : “Why are you still talking to me?”

Stan : “'Cause everyone else in this town's boring.”


Les deux personnages principaux sont Syd et Stan, interprétés respectivement par Sophia Lillis et Wyatt Oleff. Tous deux sont des ados marginalisés, ne rentrant pas du tout dans les normes de la société. L’une est en pleine découverte de son orientation sexuelle et l’autre espère un jour recevoir de l’amour en retour. La série met en avant des personnages que l’on a pas forcément l’habitude de voir, ou qui sont alors souvent relégués au second plan, comme ressort comique. Ici, on suit la vie de ceux que l’on ne connaît pas, qu’on ne remarque même pas dans les couloirs du lycée et qui ont une vie bien singulière, malgré les apparences. 




Queers and queens

En effet, Syd apprend qu’elle a des super pouvoirs psychiques. Mais au même moment, elle comprend aussi que ses sentiments envers Dina (Sofia Bryant), ne sont pas ceux qu’elle pensait être. Elle est amoureuse de sa meilleure amie. L’acceptation de sa sexualité vient progressivement. Syd tente au maximum de rentrer dans les cases, de sortir avec un garçon et de coucher avec lui simplement parce qu’elle est censée le faire. Pourtant, son regard ne se pose pas sur Stan mais sur Dina. Le jeu des actrices est léger et discret, c’est dans les implicites que l’on comprend peut-être même avant Syd qu’elle l’aime. Contrairement à de nombreuses séries qui proposent également des amitiés ambiguës, sans jamais approfondir ces relations, I am not okay with this va jusqu’au bout de son idée et dépasse ce stade de queerbaiting. 

De plus, les deux femmes reprennent totalement les codes de l’hétéronormativité pour se les réapproprier. Elles décident d’aller ensemble au bal de promo, comme un couple. C’est Dina qui vient chercher sa compagne pour l'emmener au bal. Syd descend les escaliers, vêtue de sa robe, sous les yeux éblouis de Dina. De la même façon que de nombreuses teen séries et rom-coms vues et revues : She’s all that, Pretty Woman, Twilight, etc. Un peu plus tard vient le fameux slow du bal de promo. Syd et Dina se saluent, moquant les traditions habituelles, puis dansent ensemble. Dina enlace Syd tandis que sa compagne pose ses mains sur sa taille, tout en exprimant verbalement leurs sentiments l’une envers l’autre.

Cette réappropriation renverse les clichés hétéronormés tout en offrant des scènes romantiques et rendant leur relation naissante normale. Deux femmes du même genre sortant ensemble n’est pas quelque chose d’extraordinaire ou de terrifiant, c’est simplement la nature humaine, et I am not okay with this le représente parfaitement. 




Fuck off toxic masculinity

Syd et Dina ne sont pas les seules à casser des codes. Stan aussi, mais à sa façon. Tout d’abord, il ne se présente absolument pas comme un ado normé. En effet, c' est le cliché du garçon “bizarre”. Il s’habille comme s’il vivait dans les années 70, regarde des cassettes des années 80 et écoute de la musique branchée très années 90. En bref, il ne vit pas du tout dans le même monde que ses camarades de classe. Et pourtant, Stan n’en a rien à faire. Si l’on suit ce cliché habituel du “nerd bizarre”, c’est souvent le personnage qui se fait harceler à l’école, ou à qui il arrive toujours des malheurs. Ce qui renforce cette idée de violenter les gens anormaux pour les forcer à rentrer dans les normes. Mais Stan s’en fiche. En plus d’avoir sa propre personnalité, il est un ado à l’écoute. Comme il le mentionne à Syd, il veut être son bras droit, celui qui aide le super héros à gérer et contrôler ses superpouvoirs. Lorsqu’il comprend que Syd ne l’aime pas comme il le voudrait, il ne cherche pas à la conquérir. Certes, il est blessé mais il s’écarte pour laisser Syd et Dina débuter leur romance. 

Le seul autre ado vraiment important dans l’histoire, c’est Brad, le petit ami de Dina. Contrairement à Stan, il est le cliché du sportif macho. Il rentre parfaitement dans les cases de l’hétéronormativité, mais il n’est pas pour autant une personne bienveillante. C’est d’ailleurs plutôt le contraire. Si la série n’a pas d’antagoniste à proprement parler, Brad est tout de même un obstacle et un même frein énorme entre Syd et Dina. Il est égoïste et le monde tourne autour de lui, et s’arrête aussi de tourner quand Brad se casse une jambe. Bien évidemment, la série ne met pas du tout en avant ce personnage sous une bonne lumière. Syd et Stan se moquent ouvertement de l’équipe sportive du lycée, voyant les matchs sportifs comme un théâtre vivant, se réjouissant à l’idée de se dire que ceux qui sont au plus haut de l’échelle sociale du lycée, n’auront sûrement rien d’autre d’aussi exceptionnel dans leur avenir. Si Stan laisse Syd pour qu’elle aille avec Dina, ce n’est pas le cas de Brad. Après avoir trompé sa copine, il planifie sa vengeance, cruelle, et humilie Syd en lisant son journal intime devant tout le lycée, pendant le bal de promo. Puis heureusement… sa tête explose. 




Famille endeuillée et relations conflictuelles

Cette série met également en avant des personnages venant de classes sociales en dessous de la moyenne. Ce qui change des grosses maisons à plusieurs millions de dollars mais qui sont tout à fait normales. Non, la maison de Syd est loin d’être la maison d’Otis (Sex Education). Représenter une classe sociale et ses galères financières peut se relever très délicat. On peut rapidement tomber dans des clichés classistes. Une fois de plus, I am not okay with this le fait avec finesse et justesse. On ne voit pas les personnages s’appitoyer sur leur sort en pleurant, assis dos contre une porte, une facture à la main, non. Oui, c’est difficile de joindre les bouts financièrement. Oui, c’est compliqué de payer les courses. Mais provoquer la pitié chez un spectateur, c’est le mettre en hauteur, le faire regarder de haut les “pauvres”. Ici, le spectateur est confronté à la réalité de la situation financière des personnages, mais il est mis sur un pied d’égalité. On vit leur quotidien et c’est leur quotidien, comme celui de nombreuses personnes.

La mère de Sydney est donc obligée de travailler d’arrache-pied pour ses enfants, le père étant mort, suicidé depuis plus d’un an. La famille est également endeuillée, ce qui se ressent dans les dynamiques entre les personnages. Syd, ne sachant pas comment gérer ses émotions, déverse régulièrement sa frustration et sa tristesse liée au deuil sur sa mère, Maggie. Ce qui entraîne des disputes tout au long de la série, d’autant plus que Maggie a également du mal à exprimer ses émotions et peut être très maladroite. Goob, le petit frère de Syd, se sent alors obligé d’être le médiateur des deux, du haut de ses 12 ans. Il tente à plusieurs reprises de les réconcilier. Événement qui apparaîtra finalement dans l’avant dernier épisode de la série. 



Une esthétique reconnaissable

L’esthétique de la série est minutieusement réalisée, chaque détail a son importance. Les plans précis et nets rappellent ceux de Wes Anderson, notamment dans leur composition symétrique et la mise en scène parfois théâtrale. Par exemple, lorsque Syd, Stan et Dina se lancent dans une mission dangereuse : voler une clé usb dans le bureau du principal du lycée. 

Les tons orangés de la colorimétrie sont chauds et font également penser à Wes Anderson. Mais contrairement à des couleurs réconfortantes et dénotant de l’enfance, I am not okay with this teinte de façon parfois abusive ces scènes oranges. Cet usage intensif du orange amène alors une forme d’oppression, c’est trop orange pour être joyeux, on étouffe. 

Mis à part l’orange, l’esthétique de la série est très similaire à The End Of the Fucking World, la première série du réalisateur. En effet, dans le casting technique, on y retrouve plusieurs professionnels déjà présents pour la première série, notamment Justin Brown, directeur de la photographie. L’esthétique et la mise en scène d’ados perdus dans la campagne américaine est produite de la même façon : tons neutres, plans de coupe sur des objets précis, cadrage minutieux, etc. Réutiliser la même recette photographique n’est pas forcément synonyme de compétences limitées. Ici, cela donne plutôt une sensation de déjà-vu. Comme si les personnages d’I am not okay with this vivaient dans le même monde que ceux de The End of The Fucking World.

De plus, les deux séries se déroulent dans une campagne américaine, moche. Une fois de plus, on s’écarte des maisons bling bling pour aller dans des petites villes perdues. A travers les décors et l’environnement, on sent l’ennui des habitants de la ville : les rails d’un train qui ne passe plus, la peinture écaillée des bâtiments délaissés, la pelouse jaunie des jardins, etc. I am not okay with this montre une réalité américaine peu mise en avant dans les teen séries. 

La bande son, choisie elle aussi avec précision, donne du rythme à la série. La musique a une fonction narrative et vient servir le récit. Elle accompagne les regards désirants de Syd, ses crises d’angoisses / de super pouvoirs mais surtout les essayages vestimentaires de Stan, chantant à tue-tête dans sa salle de bain. La bande son est constituée de musiques cultes des années 80 mais aussi de chansons d’un album créé uniquement pour la série : Bloodwitch. C’est un groupe dont Stan est fan, la musique a alors une dimension intra et extra diégétique, elle existe dans et en dehors de la série. A nouveau, cela vient renforcer cette proximité entre le spectateur et les personnages, comme une forme de réalisme. Finalement, ces ados sont comme nous, ils écoutent la même musique et fréquentent des lycées banals. Sauf que l’une d’entre eux a des pouvoirs. 




Des superpouvoirs ancrés dans la vraie vie

Ce sont souvent des adolescents qui se découvrent des super pouvoirs. De cette façon, les réalisateurs filent une métaphore sur l'arrivée de la puberté qui coïncide avec ces pouvoirs. Notre corps est transformé de toutes les façons possibles. Certains récits montrent ses ados comme des superhéros et vont aller sauver leur ville des méchants voleurs. D’autres vont se venger de leurs harceleurs dans un bain de sang. Et Syd se rapproche bien plus de Carrie que de Peter Parker. Les récits extraordinaires sont tout aussi intéressants car ils permettent une évasion du spectateur, on se déconnecte de la réalité. Mais Syd nous montre ce que serait réellement une ado qui découvre qu’elle peut bouger des objets avec son esprit du jour au lendemain. Les effets spéciaux des pouvoirs de Sydney suivent également cette idée, en optant pour un visuel simple, discret. Ses pouvoirs sont presque invisibles, les seules traces remarquables étant les objets flottant dans l’air. Elle n’a pas des yeux qui changent de couleur ou des griffes qui sortent de ses mains. Tout est naturel. Stan assiste involontairement aux prouesses psychiques de son amie, essaie par tous les moyens de l’aider, sa source première étant les comics. C’est à la fois drôle et réaliste, comment pourrions-nous faire des recherches autrement ? Ce n’est pas en tapant “cold ones” sur Google que l’on va comprendre que son crush du lycée est en réalité un vampire centenaire. 




Des cerveaux branchés différemment 

Ces pouvoirs surnaturels sont aussi en lien avec l’anxiété du personnage. Syd n’a pas le contrôle de ses émotions. La psychologue du lycée lui conseille le fameux journal pour y écrire ses émotions. Elle aurait pu aussi lui dire d’essayer la relaxation et de méditer. Bien qu’elle écrive tout de même dans son journal, dont on entend en voix off ses pensées, Syd repousse au maximum ses pouvoirs plutôt que de tenter de les contrôler, comme le suggère Stan. 

Ses crises de super pouvoirs, où tout explose (littéralement), se cristallisent avec ses émotions. Dès son introduction, Syd se présente comme une ado avec des problèmes de gestion de colère. Elle ne contrôle rien, elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Ces crises où ses pouvoirs se montrent rappellent des crises d’angoisse. Et c’est aussi ce que suggère Stan, quand il ne sait pas encore que son amie a réellement des pouvoirs. Alors qu’elle sent que ses pouvoirs arrivent, que son angoisse monte pendant un cours de biologie, elle s’enferme dans les toilettes du lycée et tente de se calmer. Les murs des toilettes tremblent et Syd essaie d’arrêter le tremblement en les poussant avec ses mains et ses jambes. Ce tremblement autour d’elle ressemble fortement aux symptômes d’une crise d’angoisse. Les crises d’angoisse provoquent généralement des sensations de vertige voire des malaises aux personnes qui en souffrent. 

Dans ces moments de panique, où les émotions de Syd lui échappent, la bande son montre aussi cette perte de contrôle. L’environnement sonore se brouillent, tout est confus, rappelant aussi une crise d’angoisse. Après coup, l’anxiété ne part pas. Si Syd a réussi à arrêter ses pouvoirs, elle se sent coupable. Coupable d’être différente et de ne pas réussir à maintenir un équilibre émotionnel. Cette culpabilité se fait ressentir également au travers de la bande son avec les notes répétitives et oppressantes d’un orgue. L’orgue n’est pas un instrument commun. En général, on ne l’entend que rarement au cours de sa vie, sauf si l’on va à un concert de musique classique. Les rares fois où l’on entend un orgue sont à lors d’occasions particulières : mariage ou enterrement, deux instants portés d’émotions. L’utilisation de l’orgue prend alors tout son sens. Non, Syd ne va peut-être pas se marier tout de suite avec Dina (mais on l’espère !), cet orgue rappelle de façon funeste le destin tragique de son père. Il rappelle la mort. Syd est encore plus angoissée lorsque sa mère lui apprend qu’il était comme elle, avec des pouvoirs et beaucoup d’anxiété. L’ado essaie alors de tout faire pour ne pas prendre ce chemin dans le dernier épisode. Elle sourit et essaie de se faire pardonner à celles et ceux à qui elle a fait du mal. 

Mais malgré tous ses efforts, la réalité la rattrape et Brad lui rappelle qu’elle possède des pouvoirs, qui ne la rendront jamais normale. Syd réitère ce sentiment d’être différente à la fin de la série : “I tried to be normal but I’m just not wired that way” (J’ai essayé d’être normale mais je ne suis juste pas faite comme ça). On ne peut pas aller à l’encontre de qui l’on est réellement. Si Syd a accepté son orientation sexuelle, elle n’a pas réussi à faire de même pour sa neurodivergence. 





La série nous laisse sur notre faim, le dernier épisode finissant sur un cliffhanger (un moment chargé de suspense). Tant de questions se bousculent alors, qui est cet homme mystérieux qui suivait Syd ? Stan a-t-il récupéré le journal intime de Syd ? Est-ce qu’il va révéler le secret de Syd ? Est-ce que la mère de Syd va comprendre ce qu’il s’est passé et faire un lien avec son mari ? Est-ce que le petit frère de Syd a lui aussi des pouvoirs, étant donné qu’ils sont héréditaires ? A mon plus grand regret, ces questions resteront sans réponse, étant donné que la saison 2 ne verra jamais le jour. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Le réalisateur a tenté une négociation avec Netflix pour au moins retourner une fin alternative à la série, afin d’éviter un cliffhanger, en vain.


Il est cependant important de continuer à parler de ce genre de séries, qui présentent de façon intersectionnelle des personnages différents mais toujours ancrés dans le réel, dans la vraie vie. C’est d’ailleurs là que réside le point fort de la série : elle évoque une multitude de sujets, en très peu de temps mais toujours de façon juste. Nous ne pouvons qu’espérer qu’un jour Netflix arrête de financer des bouses pour gagner de l’argent au lieu de financer des vrais projets intéressants. Vivement la saison 2 de Mercredi.


2 Comments


kimmy
Feb 28

oui

Like
Jasmine
Jasmine
Feb 28
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…mais non

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see you in theaters !
Audrey Tautou dans "Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain"

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