Aftersun: un souvenir pastel d’un été lointain
- Océane
- il y a 19 heures
- 9 min de lecture
(TW Spoilers et santé mentale)
En cherchant Aftersun de Charlotte Wells (2022), vous trouverez une affiche représentant un père et sa fille de dos en train d’admirer la tranquillité des vagues en face d’eux. Derrière cette image se trouve un voyage personnel au cours duquel Sophie, 11 ans, interprété par Frankie Corio se remémore les dernières vacances qu’elle a passé avec son père Callum, joué par Paul Mescal, touché par un mal être profond. Aftersun est avant tout un travail de mémoire et de perspective aux couleurs douces d’enfance.
Sophie: deux temporalités, même problème
Il s’agit d’un voyage introspectif dans la mémoire de Sophie. Tout au long du long métrage, on aperçoit deux Sophie à deux temporalités différentes. L’une à 11 ans et l’autre à 31 ans. La plus âgée se remémore les souvenirs des dernières vacances passées avec son père, tentant de comprendre ce qu’elle n’a pas vu à l’époque.
Elle est tiraillée entre son désir de grandir et la dépression de son père qu’elle n’a pas comprise. Ce retour en enfance se fait dans un moment stratégique de sa vie. En effet, elle a le même âge que son père quand il est mort, 31 ans. Ce nombre représente un chamboulement dans sa vie, un vide qu’elle cherche à comprendre. Par ailleurs, l’adulte en elle comprend désormais ce qui était au fond de son père.
Le personnage de Sophie fait écho au spectateur. En effet, cette volonté de vouloir grandir rapidement au détriment de nos parents, nous l’avons potentiellement tous ressenti une fois. Comme Sophie, nous regrettons cela quand nos parents décèdent. Charlotte Wells nous rappelle que rien n'est éternel. Telle la carte postale laissée par Callum à sa fille, nous nous rappelons que des bons côtés d’une personne, nous venons à en devenir nostalgique, cependant nous n’avons jamais assez profité à ses côtés.
Callum: un doux sourire qui pleure
Le personnage de Callum est très intéressé car, malgré le fait qu’on le voit à travers les yeux de Sophie, notre regard de spectateur nous permet de comprendre qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Un personnage au sourire si lumineux qui pourtant éprouve une profonde dépression qu’il cherche à cacher, même à nous spectateur. Ce mot n’est jamais prononcé, cependant on le comprend d’autant plus. Il traverse la rue sans regarder si des voitures arrivent, la fin n’est qu’une question de temps.
Plus sa vie avance, plus il étouffe. Il s'engouffre vers sa perte sans possibilité de remonter à la surface assez longtemps pour survivre. Ces rares moments à la surface sont des espoirs, un moyen de le faire tenir plus longtemps, notamment pour sa fille. Il se projette dans l’avenir pour consolider cet espoir, mais en vain. Il met devant sa fille un masque d’oxygène pour qu’elle ne voit pas qu’il coule. Cependant lorsqu’elle n’est pas là, son masque tombe et les émotions jaillissent comme lorsqu’il est assis sur son lit nu, dos à la caméra en train de pleurer. Son dos se tord comme la douleur d’un peintre sur son pinceau. Si ce qu’il ressent n’était perçu que partiellement, dans cette scène, elle se manifeste pleinement. Antérieurement, on pouvait voir des signaux comme par exemple le fait qu’il ne pensait pas arriver jusqu’à l’âge de 30 ans.
Par ailleurs, la souffrance de Callum se témoigne lorsque Sophie n’est pas là. Par exemple, la nuit quand elle dort ou encore quand il discute avec l’employé du bateau. On peut interpréter cela comme le fait qu'à l'époque, elle ne voyait pas la souffrance de son père. Il ne lui montrait pas. Ainsi elle a essayé de mettre des images à la souffrance de son père.
On peut déceler aussi un problème lié à la figure parentale sur deux temporalités distinctes. Premièrement, on peut voir cela dans son passé à travers ses parents à lui. En effet, quand Sophie lui demande ce qu’il a fait pour ses 11 ans, il dit que ses parents avaient oublié et qu’ils l’ont forcé à choisir un cadeau. Avec la manière dont il raconte son souvenir, on ressent le malaise et la douleur que cela lui provoque. Peut-être que son mal-être avait déjà commencé à ce moment-là. Au moment de la diégèse du film, Callum doute de ses qualités de père. On peut penser à la scène où il regarde les vidéos qu’il a prises avec Sophie où cette dernière explique pourquoi son père est si génial, il éteint la caméra et se couche d’un coup. On a l’impression qu’il ne croit pas ce qu’il entend, que cela lui fait du mal. Il cherche à être un bon père mais à travers sa dépression, l’image qu’il a de lui est noircie. Cependant on peut également voir cela comme son regret car il sait qu’il ne va pas rester pour longtemps.
La figure de la nuit le laisse face à ce qu’il est au fond. Il n’est à sa place nulle part. La noirceur de la nuit renvoie à cette part d’ombre qui l’empêche de s’épanouir. On peut notamment penser à la scène où il fonce dans les vagues comme si quelque chose l’attendait. On ne le voit jamais en sortir. Par ailleurs, cette scène peut être interprétée comme l’annonce de la mort prématurée de Callum. En effet, les ténèbres l’ont enlacés. Il rentre dans les vagues, s'engouffre et n’en sort pas. Sa souffrance se déchaîne et l’emporte au gré des vagues.
Afin de rendre compte de la dépression de Callum, Charlotte Wells joue sur les couleurs. En effet, les moments passés entre le père et la fille sont représentés à travers des couleurs pastelles rappelant la douceur de leur relation tandis que les scènes où la tristesse de Callum se manifeste, les couleurs principales sont le bleu et le noir. On peut notamment penser à une scène où les deux protagonistes discutent séparés par un mur. Le côté de Sophie baignent dans la lumière de la chambre d’hôtel tandis que du côté de Callum, la froideur du bleu engouffre la pièce. Ces couleurs sont symboliques de la souffrance, de la solitude et de la tristesse dans beaucoup d’autres films.
Sa lettre d’adieu s’est faite sur une carte postale. Ainsi, son départ est plus doux pour elle. Cette carte cristallise ainsi l’amour qu’il a pour elle, cherchant peut être à adoucir sa disparition, en espérant que le seul souvenir qu’elle est de lui est cette carte postale.
La caméra: un outil de remémoration
Le regard de la caméra est celui de Sophie. Elle recrée ses fameuses vacances à travers les images qu’elle revoit au même titre que nous en les regardant. La caméra offre le point de vue de Sophie sur son histoire. La caméra permet à Sophie de plonger dedans. Dès le début du long métrage, on comprend qu’on se replonge dans les souvenirs d’un des protagonistes avec le bruit de la caméra qui s’allume. Ainsi on entre dans une subjectivité mémorielle. Dans la suite de cette idée, on peut noter que la scène où elle est aux toilettes et qu’elle écoute des adolescentes, plus grandes qu’elle, discuter de garçons. On est en tant que spectateur placé du point de vue de Sophie car on voit la scène derrière la serrure des toilettes. On peut également penser au moment où elle dort sur le lit et que son père fume une cigarette à l’extérieur. Le spectateur entend la respiration profonde d’une Sophie endormie. Ainsi avec ces deux scènes, on voit bien qu’on nous offre un unique point de vue qui est le sien.
La musique: le reflet de l’âme
Le travail derrière la bande originale est une œuvre d’art à lui tout seul. Oliver Coates nous émerveille par sa capacité à représenter l’état d’esprit des protagonistes. On peut citer One Without que l’on entend tout au long du film, majoritairement quand la souffrance de Callum se manifeste. Cette dernière fait étrangement penser aux bruits de vagues. Ici, on peut y voir la métaphore de la dépression que Callum essaye de battre depuis des années, sauf qu’à ce moment précis, on comprend qu’il a perdu la bataille et qu’il s’est noyé sous la dépression. Les vagues de sa souffrance l’ont emporté au large de la mort.
“This is our last dance, this ourselves”
L’une des scènes les plus importantes du long métrage reste celle de la danse à la fin de ce dernier. Tout mène à ce moment énoncé plusieurs fois pendant le film. La dualité qui l’habite depuis le début est à son apogée. Le passé et le présent se rencontrent sans pour autant répondre à la quête du personnage. Une fracture identitaire se fait une place à l’écran. Par un jeu de lumière, on passe d’une temporalité à l’autre, d’un souvenir à l’imaginaire. Cette fragmentation mémorielle se traduit par ce jeu de lumière qui laisse des parts d’ombres concernant ses souvenirs. Elle tente de les reconstruire mais en vain. Pour souligner l'arbitraire de cette scène, le t-shirt porté par Callum n’est pas le même qu’au début de la danse. En effet, il s’agit de celui de l’aéroport, la dernière fois qu’elle l’a vu.
On peut noter un parallèle entre Sophie enfant qui pousse son père et Sophie adulte qui sert son père dans ses bras. Il ne s’agit pas d’un souvenir mais plutôt du fait de s’y replonger comme elle aurait voulu faire à ce moment-là. On ressent à l’écran le regret qui la ronge de l’intérieur depuis plusieurs années maintenant.
C’est un moment de fusion entre Sophie et son père où la réalité du moment n’a pas sa place. Elle finit elle aussi par faire les mêmes gestes que lui. Elle ressent les émotions que son père a lui-même éprouvées à ce moment-là. Elle arrive enfin à le voir tel qu’il était. En reconstruisant son souvenir, elle met enfin devant elle, la dépression de son père. Le corps de Callum danse au fur à mesure qu’il se déconnecte de la réalité. L’enfant en elle qui avait honte d’être avec son père et de ses mouvements étranges comprend en tant qu’adulte ce moyen propre à lui de s’échapper à son mal être. Dans la dernière scène, Callum se filme, éteint la caméra et repars dans le souvenir de Sophie, dans ce souvenir de danse, là où elle peut enfin le comprendre.
Le choix de la chanson est très intéressant. Wells opte pour Under Pressure de Queen et David Bowie mélangée au grand talent de Oliver Coates. A travers l’art du son, elle met en avant une parole qui est “This is our last dance” (C'est notre dernière danse) ayant dans cette histoire un double sens puisque c’est la dernière danse des vacances mais aussi la dernière danse que le parent et l’enfant feront à jamais. La question du regret est encore plus marquée avec les paroles “Can't we give ourselves one more chance? Why can't we give love that one more chance?” (Est-qu'on ne pourrait pas se donner encore une chance? Pourquoi est-qu'on ne peux pas donner à l'amour cette dernière chance?). A travers “Watching some good friends screaming Let me out!" (Regardant de bons amis crier "Laissez moi sortir!") , on ressent l’oppression de Callum face à sa mélancolie présente depuis plusieurs années.
Aftersun: qu’est-ce que cela veut dire?
On peut s’interroger sur le nom “Aftersun”. Littéralement il s’agit d’une crème qui s'applique après une exposition au soleil, pour protéger des potentiels blessures superficielles. Par ailleurs, pendant plusieurs scènes, on peut voir les deux protagonistes appliquer sur l’autre cette crème. De manière abstraite, on peut interpréter cela comme une tentative de protection contre leur mal être commun. Ils s’appliquent mutuellement cette fameuse substance. Elle ne peut soigner les blessures profondes, ainsi elle n’a pas fait son rôle. Ils ne sont donc pas guéris. Est-ce que le but de Sophie est de trouver son “après-soleil” à elle?
On peut y voir plutôt la métaphore du désarroi de Callum. En effet, le soleil serait comme sa dépression. Ce remède lui aurait permis de vaincre cette dernière et donc de trouver “l'après-soleil”. Sauf qu’ici, il ne le trouvera jamais dû à la profondeur de sa blessure. Cette idée peut se retrouver lorsque Callum essaye de chercher le masque de plongée tombé dans les abysses. Lors de cette dernière, Callum tend la main vers nous comme ci il essayait d’attraper quelque chose. Cependant il ne l’a pas atteint. Cette protection solaire est un peu similaire au film dans le sens où sa douceur visuel cherche à apaiser le sens du film.
Aftersun est un travail de mémoire personnelle pour la réalisatrice. Dans plusieurs interviews, elle souligne qu’il s’agit en partie de son histoire avec son père. Ainsi, on assiste par le biais du personnage de Sophie à la retranscription de ses souvenirs à l’écran. Le cinéma ici se porte comme outil d’une quête mémorielle. Tout est une question de souvenir, de reflet de la réalité. On ne verra jamais ce qu’il s’est réellement passé, seulement la reconstruction que Sophie en fait. Cette idée de reflet résonne dans le long métrage. On peut noter que beaucoup de scènes se passent dans le reflet de l’eau, de vitres.
Ce câlin esthétique nous rappelle à tous qu’un sourire aussi chaleureux qu’il soit ne peut pas recouvrir la froideur d’une souffrance profonde.
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