Le hérisson dans le brouillard.
- Aurégane Brochot
- 26 mars
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 mars
L’animation a toujours réussi à faire transmettre l'insaisissable tant dans les émotions que dans l’art. Une intensité particulière que les films en prise de vue réelle n'arrivent même pas à effleurer. C’est un espace de tous les possibles, les mondes sont différents, les formes sont variées et les personnages sont uniques. Bien loin des films d’animation habituels, Le Petit hérisson dans la brume de Yuri Norstein datant de 1975 est une œuvre incomparable, délicate et poétique qu’il faut faire ressortir des placards de notre enfance.
Un réalisateur émérite.
Yuri Norstein est un cinéaste, artiste et animateur russe. Avec plus de 50 ans de carrière, il est souvent présenté comme le maître de l’animation russe et l’un des cinéastes d’animation les plus talentueux au monde. Notamment grâce à ces techniques artistiques inimitables. Né pendant la Seconde Guerre mondiale (1941) et témoin du pouvoir communiste en place. Ces œuvres filmiques sont essentiellement constituées de courts métrages de quelques minutes qui sont influencés par sa vie, du contexte social et politique mais aussi par les différents mouvements artistiques de son temps comme le cubiste, futuriste, suprématisme et des créations d’art populaire. Il semble légitime d’affirmer qu’il travaille en collaboration avec sa femme Frantcheska Yarbousova (peintre-réalisatrice) qui fabrique ces personnages et assure la direction artistique de la plupart de ses films. En 1984, aux Olympiades de l’animation de Los Angeles, il reçoit le prix du Meilleur film d’animation de tous les temps pour le Conte des contes. Tandis que Le Hérisson dans le brouillard obtient le premier prix du meilleur film d'animation au Festival du film soviétique de Frounzé en 1976 ainsi que le premier prix au Festival du film pour les enfants et la jeunesse de Téhéran, la même année.
Il était une fois un petit hérisson qui voulut traverser la forêt pour rendre visite à son ami l’ourson pour compter les étoiles comme à leur habitude. En chemin, il aperçoit un cheval blanc dans la brume, et décide de s’aventurer dans le brouillard, où l’attendent autant de dangers que de découvertes merveilleuses. Le scénario de ce film est emprunté à un conte populaire russe, le Hérisson et Ourson, Contes de la forêt profonde de Sergueï Grigorievictch Kozlov. Cependant le scénario poétique tout comme le scénario de production ne semblent n'être qu’un prétexte à la réalisation, pour Norstein, ils ne font qu’un « Je n’attache pas d’importance au scénario composé avec des mots [...]. Il me semble qu’un film doit constamment évoluer et se modifier [...]. Le film grandit tout seul sur le plateau de tournage ». Son animation s'apparente dans un sens à une forme de recherche quasiment expérimentale entre le scénario, la matière des images et les sensations impalpables qu’il veut procurer chez le spectateur.
La technique s'allie au rêve pour créer des images oniriques.
Tout son travail repose donc sur ces techniques plastiques et artistiques exceptionnelles. Il crée des personnages et éléments sur du papier découpé, parfois du papier calque. Le hérisson, qui fait environ 15 centimètres de hauteur, est par exemple constitué de couches superposées de celluloïd recouvert de peinture et animées à plat, selon la technique dite des “papiers découpés”. Ce qui apporte immédiatement une nuance de douceur et de naïveté qui ramène au conte autant qu’à uniforme d’onirisme sensible. Cette technique est un premier point de rupture avec la tradition classique dans l’animation du dessin sur cellulo. Il dispose ensuite ces personnages sur différents étages de plaques de verre placées dans une boîte-noir sous l’objectif d’une caméra multiplane. C'est-à-dire que la caméra se déplace, pouvant donner des effets de mouvement et même de flou. Ainsi, cela lui permet de donner une véritable matérialité aux éléments visuels du court métrage. De cette façon, le brouillard est rendu dans le film par la poussière sur les vitres et le celluloïd qui se superposent dans la boîte de prise de vue pour donner l'impression de la profondeur. Norstein précisait, à propos du tournage du Petit Hérisson dans le brouillard, que l’on voit « au-delà du champ de la prise de vues, d’autres lointains ». La caméra « se déplaçant sur tous les plans permettait d’obtenir une liberté de mouvement dans le champ de prise de vues. L’image acquérait une volatilité ». Par son travail de couche et de texture, il est considéré comme un maître de la profondeur de champ et des mouvements d'appareil. Il évoque la nécessité de maintenir un certain “chaos créatif” lors de la fabrication de ses films, qui est pour lui l’étape à laquelle tout se joue concrètement. “Un film commence vraiment à se développer pendant le travail de réalisation, pendant les prises de vues. Du point de vue de la production, c’est peut-être aberrant, mais du point de vue de la création, il me semble qu’il y a alors plus de contenu plastique que lorsque tout est prévu d’avance” explique-t-il dans une interview à Positif de novembre 1985 citée par le chercheur Giannalberto Bendazzi (Cartoons, le cinéma d’animation 1892-1992).
Le cheval est comme un déclencheur de l’aventure du petit hérisson, il est la porte ouverte vers l’exploration. Un pas vers l’inconnue qui nous fascine mais qui nous fait aussi peur. Se dévoile alors à lui un monde fantasmagorique d’une beauté et d’une poésie hallucinantes, où le travail de Youri Norstein sur la lumière et l’ombre atteint son paroxysme et où les contrastes accentuer de noir et blanc participes à cette atmosphère fictionnelle. Les visions se suivent et s'entrecroisent dans un épais brouillard que le hérisson semble même pouvoir palper. Son odyssée est ponctuée de rencontres avec différents animaux, un éléphant, un escargot, une chauve-souris, un chien parfois déconcertants, intimidants et même terrifiants. Le montage enchaîne les apparitions et disparitions des personnages avec une fluidité impressionnante, en même temps que la musique accélère et ralentit, ce qui participe à l'élaboration d’une atmosphère riche à mi-chemin entre le rêve et la réalité, et dans laquelle c’est la force de l’imagination qui transcende l’expérience du réel.

On assiste à l’élaboration de textures oniriques et de l’imaginaire pour les enfants comme pour les adultes. Peut-être même pouvons-nous voir ce court métrage comme une allégorie sur la vie et sur le monde qui nous entoure. Il semble être un parfait mélange entre rêve et cauchemar pour le petit hérisson, mais poésie pour le spectateur. Ce qui nous permet de nous confronter à nos failles, nos plaisirs et nos peurs. Comme dans les fables et les contes, les animaux se font ici miroir de l’Homme et de l'inconscient imaginaire et sensoriel.
Bibliographie :
Sur Yuri Norstein :
Barrès Patrick, « Scénarios poïétiques et processus narratifs dans les films de Youri Norstein, une dialectique de l’invention ». SLOVO, À l’Est de Pixar : le film d’animation russe et soviétique – no 48/49. p.225-242
Cross Ian, « Music, Memory and Narrative: The Art of Telling in Tale of Tales », Animation 17 (2022/3), p. 334‑346.
Lécole Solnychkine Sophie « « Voir le brouillard de l’intérieur » : une poétique de la matière et du récit dans Le petit Hérisson dans le brouillard de Youri Norstein». SLOVO, À l’Est de Pixar : le film d’animation russe et soviétique – no 48/49. p.243-252
Pailler Jérémy, « Le Hérisson dans le Brouillard de Youri Norstein : Rythmes et temporalités du film d’animation vers l’album illustré » [en ligne], Strenæ. Recherches sur les livres et objets culturels de l’enfance (2016/10), AFRELOCE, disponible sur <https://journals.openedition.org/strenae/1515>, [consulté le 15 mars 2025].
Sitographie :
Anaïs Bocianowski, « Kitson Clare, Yuri Norstein and Tale of Tales ; An Animator’s Journey, 2005 ; Youri Norstein, Franceska Yarbousova : [exposition], Salle Saint-Jean, Hôtel de Ville de Paris, 16 mars-15 juillet 2001. 2001 » [en ligne] (2009), Persée - Portail des revues scientifiques en SHS, disponible sur <https://www.persee.fr/doc/russe_1161-0557_2009_num_33_1_2406_t1_0241_0000_1>, [consulté le 12 mars 2025].
MpM, « Le Conte des contes : le chef d’oeuvre de Youri Norstein de retour au cinéma » [en ligne], Ecran noir, 2024, disponible sur <https://www.ecrannoir.fr/2024/12/04/le-conte-des-contes-le-chef-doeuvre-de-youri-norstein-de-retour-au-cinema/>, [consulté le 12 mars 2025].
SensCritique, « Le Hérisson dans le brouillard (1975) - Cyann Kairos De Ligre » [en ligne], SensCritique, disponible sur <https://www.senscritique.com/film/le_herisson_dans_le_brouillard/critique/31082047>, [consulté le 12 mars 2025].
Garidis Anguéliki, « Les Contes de Youri Norstein et Franceska Yarbousova, par Anguéliki Garidis » [en ligne], disponible sur <http://www.artmag.com/museums/a_fr.html/afrIledf/hotel/norstein.html>, [consulté le 12 mars 2025].
Vidéo Internet :
Desimoni Claude, « Dans le studio de Youri NORSTEIN », [en ligne], 2019., disponible sur <https://www.youtube.com/watch?v=bjs6SsY2p4E>, [consulté le 12 mars 2025].
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