Hairspray : you can't stop the white saviors!
- Jasmine
- il y a 7 jours
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Hairspray, est une comédie musicale emblématique de l’intertextualité de Broadway. En effet, l’histoire est d’abord un film réalisé par John Waters en 1988. Ce dernier est ensuite adapté en comédie musicale par Marc Shaiman, Thomas Meehan et Mark O'Donnell à Broadway en 2002. Puis, 5 ans plus tard, Hairspray retourne au cinéma sous la forme d’un film musical réalisé par Adam Shankman. Les musiques restent les mêmes, l’énergie follement positive reste la même… et sa moralité ambiguë aussi.
Joie de vivre
Tout d’abord, le film est introduit par une lettre d’amour à Baltimore. Nous retrouvons l’héroïne du film, Tracy, chantant les louanges de sa ville. Le décalage entre sa vision de la ville et la réalité d’un Baltimore des années 60 est assez drôle et montre déjà la personnalité très enjouée de la jeune lycéenne. Malgré tout, les couleurs utilisées sont rayonnantes. Elles sont très saturées et à l’image de tracy, qui voit la vie en rose. C’est agréable de voir un film avec autant de couleurs, les films plus récents ont la fâcheuse tendance à se limiter à des tons moroses, ternes. Même pour des remakes, les couleurs deviennent fades. Revisionner Hairspray offre une coupure aux associations taupe / blanc / bois qui sont omniprésentes aujourd’hui, pour nous donner tout une gamme de couleurs flashy et bien retro. Cette esthétique choisie nous plonge directement dans un univers fantasmé des années 60.
Les chansons du film sont directement tirées de la comédie musicale de Broadway. Elles sont tout aussi pimpantes que les couleurs, et nous donnent envie de sauter et danser avec les autres lycéens. Le rythme effréné des musiques associées aux couleurs attirantes nous font immédiatement voyager dans un monde parallèle. Et bien que celui-ci soit peu en accord avec la réalité historique et culturelle de l’époque, nous nous imaginons, nous spectateurs (et surtout spectateurs blancs) dans la vie de ces lycéens en quête de liberté.
Bye bye la grossophobie
L’un des points forts du film est sa critique ouverte face à la grossophobie. Tracy est une adolescente grosse. Le film ne réitère aucun stéréotype ou cliché grossophobe : Tracy n’est pas constamment essoufflée, en train de pleurer face à son miroir, s’imaginant mince, s’empêchant de manger. Non, au contraire, elle assume fièrement la forme de son corps. Les autres personnages ne sont pas aussi ouverts d’esprit, notamment l’ancienne Miss Baltimore, qui lui dit frontalement que son poids ne fera jamais d’elle une danseuse pour l’émission télévisée, que Tracy convoite tant. La jeune fille ne perd pas espoir et retente sa chance plus tard, pour finalement intégrer le Corny Collins Show. A partir de ce moment, les cheveux de Tracy deviennent progressivement blonds. Ce changement visuel traduit le changement interne de Tracy, elle est de plus en plus épanouie, à la fois en dansant pour le show mais aussi en aidant ses amis.
Son enthousiasme et sa confiance en elle vont d’ailleurs inspirer sa mère à faire de même. Complexée et enfermée chez elle depuis des années, Edna sort enfin de son appartement grâce à sa fille, pour une virée shopping. La mise en scène ne viendra jamais moquer les corps différents des deux femmes, au contraire, elles sont mises en valeur grâce aux danses et aux tenues moulantes et pailletées. Il ne s’agit pas de montrer des corps gros pour les cacher mais pour les montrer fièrement et les normaliser. Bien évidemment, dans la réalité, je doute que la même chose soit possible, même en 2025. La chanson “Welcome to the 60’s” montre une évolution des pensées des personnages, qui désirent des changements sociétaux nécessaires de l’époque.
Le white savior & la réappropriation culturelle
Si Hairspray semble respirer la fraîcheur de la liberté (et des composants chimiques des laques), il donne une vision très blanche. Malgré son écrasante popularité aux Etats-Unis, impossible de trouver le moindre article remettant en cause la vision très blanche sur un sujet aussi important. En effet, en plus d’intégrer une femme grosse dans le show, il est question d’intégration de personnes non blanches. Le Corny Collins show est une émission très regardée par les jeunes dans le film, montrer des personnes non blanches dans un média est une première forme d’intégration pour elles dans la société. Le show n’intègre ces personnes qu’une fois par mois, le “N word day”.
Spoiler alerte, le show abandonne la ségrégation pour l’intégration définitive des personnes noires. Mais si l’on prend le récit : Tracy intègre le Corny Collins Show en montrant ses talents de danseuse grâce à des mouvements qu’elle apprend auprès de ses amis racisés, ils acceptent de lui “prêter” la danse. Elle déclare ensuite à la télévision qu’elle aimerait instaurer le N word day comme la norme dans le show, soit bannir la ségrégation pour aller vers une intégration. Finalement, ce jour spécial risque d’être annulé. C’est alors Tracy qui propose à la présentatrice noire d’aller protester pour garder ce jour. La manifestation se déroule bien jusqu’à ce que Tracy “tape” un officier et soit recherchée. Ce qui sème la pagaille et les policiers arrêtent les autres manifestants. Tracy arrive finalement à entrer dans le lycée pour la compétition des Miss, grâce à ses amis racisés, qui la font entrer discrètement sur scène. Après avoir dit qu’il n’était pas prêt à risquer son image en manifestant, Link décide finalement de prendre les mains de Little Inez et de danser avec elle. Little Inez gagne et devient la première femme noire à être Miss Baltimore. Elle animera le show, ce qui met un terme définitif à la ségrégation.
Ce film montre des personnages non blancs, se battant pour leur droit d’exister, au travers les yeux d’une femme blanche. C’est également elle qui décide de façon indirecte si oui ou non, ils obtiendront droit de cause. C’est ce que l’on appelle le “white savior”, le mythe du sauveur blanc ou cette façon de montrer les personnes non blanches comme dépendantes des blancs, incapables de faire quoique ce soit sans eux. Certes, il faut mobiliser un maximum de monde pour une manifestation, mais je doute sincèrement que l’idée même de celle-ci ne puisse pas venir d’une personne noire directement.
Concrètement, le récit tourne autour de blancs, qui reprennent des cultures noires pour qu’ils trouvent leur place et leur donnent ensuite une place. Dès la rencontre entre Seaweed et Tracy en colle, nous pouvons voir que la salle est entièrement remplie de personnages noirs. Tracy est la seule blanche. Cela montre bien la ségrégation au sein même d’un lycée : les non blancs sont collés et les blancs sont en classe. Comme Hairspray est une comédie musicale, les personnages dansent, mais d’une façon différente des blancs. Ils reprennent leur propre culture. Mais Tracy aussi. Elle regarde le corps des lycéens noirs avec envie, elle veut leur ressembler et danser comme eux. Heureusement, le récit évite rapidement un blackface qui aurait pu facilement arriver vu la tournure des événements. Rapidement, les élèves déclarent “Tu es l’une des nôtres”, Tracy devient officiellement partie de la communauté noire de Baltimore. Le message, bien qu’ayant une bonne intention, est très ignorant. Apprendre la culture de ses amis est une chose, mais s’en servir ensuite pour intégrer un show en est une autre. De plus, tous les lycéens racisés sont extrêmement bienveillants envers Tracy, ce qui reprend le stéréotype du bon noir qui doit tout à la blanche, simplement car elle n’est pas raciste.
Fort heureusement, Queen Latifah, la présentatrice noire du N word day et mère de Seaweed, réagit frontalement aux remarques particulières de Tracy. Lorsque Seaweed invite les filles chez “lui”, Tracy est ravie de découvrir “leur univers” et s’exclame “This is so afrotastic” (VF : “C’est tellement afrotastique”), ce qui est très déplacé de sa part. Tout l’enjeu des relations entre Tracy et la communauté noire repose sur sa personnalité naïve et débordante de positivité. Queen Latifah affiche immédiatement un regard gêné et surpris face à cette réplique, qu’elle chasse assez vite en passant à autre chose.
Penny, la meilleure amie de Tracy est également blanche. Elle déclare qu’elle est ravie d’être chez Seaweed même si elle est effrayée. Queen Latifah réplique aussitôt en lui disant qu’elle a bien plus de raisons d’avoir peur en tant que femme noire dans les quartiers blancs que Penny, femme blanche dans un quartier noir. Mais cette répartie est limitée dans le film et montre tout de même que c’est Tracy l’héroïne de l’histoire, et c’est elle qui gérera le déroulement de celle-ci.
Dans ce même schéma de réappropriation, nous voyons à l’écran John Travolta travesti pour interpréter la mère de Tracy. Dans le film original, le rôle est attribué à une véritable drag queen. John Travolta est excellent et très drôle dans son rôle, mais c’est dommage de ne pas avoir laissé ce rôle à une véritable drag queen… à qui le rôle appartient réellement.
Revisionner Hairspray nous offre un interlude musical et joyeux dans une époque extrêmement angoissante. Cependant, il est important de bien prendre en compte la vision blanche de ces événements. Remettre en contexte est ici assez délicat. Le film n’est que de 2007, il aurait pu montrer un changement des pensées. Le problème résulte du point de vue du film. Mettre Little Inez comme personnage principal aurait déjà pu permettre de relever ce problème et de réadapter l’histoire de façon plus intégrée. Car finalement, c’est sur Tracy que s’ouvre et finit le film, la ségrégation n’est alors qu’un sous-texte de son histoire.
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