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Sans jamais nous connaître: le devoir d’introspection pour avancer

Comme à son habitude, Paul Mescal ne cesse de nous briser le cœur. Sans jamais nous connaître d’Andrew Haigh sorti en 2023 est une autre victime de la tragédie mescalienne. Adam (Andrew Scott) et Harry (Paul Mescal) vivent tous deux dans un immeuble seulement habité par eux. Hantée par la mort de ses parents, Adam entreprend un travail de mémoire tout en se liant à Harry dans l’intimité la plus profonde. Le film nous emporte dans l’imaginaire d’Adam pour une introspection profonde.

Entre nostalgie et solitude, qui est Adam?


Adam est un homme aux yeux aussi noirs que ses cheveux. Il incarne physiquement  l’homme classique que l’on connaît. Cette banalité permet de mieux s’identifier en tant que spectateur car ce qu’il vit, a été vécu par beaucoup. C’est un personnage nostalgique, qui se raccroche aux branches du passé. Il n’écoute que des vieilles musiques, possède beaucoup de vinyles. C’est un amoureux du passé et de ses souvenirs. C’est aussi un personnage touché par un sentiment de solitude. Ce doux sentiment peut faire virer son hôte vers une mélancolie profonde. Même s’il l’a toujours ressenti, la solitude s'est nouée d’un nœud encore plus serré suite à la mort de ses parents. En tant que spectateur, on ressent ce sentiment, notamment par la couleur bleu qu’il porte principalement. Ce bleu possède différentes nuances durant le long métrage afin d’intensifier ou de réduire ce sentiment. Dès le début du film, on comprend qu’il désire l’extérieur. En effet, la première scène du film est le reflet d’Adam sur sa fenêtre enseveli par une lumière rouge qui symbolise le désir. Il regarde l’extérieur envieux de le découvrir mais entravé par l’isolement qu’il s’est créé. De plus, il ne parle de presque personne en dehors de ses parents. Ses amis qu’il évoque sont éloignés de lui. Sans nous le dire, on comprend que ce personnage en manque d’affection cherche à y remédier. Il va donc entreprendre une introspection et atteindre la dernière étape du deuil: l’acceptation. 


Harry: le miroir d’Adam


De prime abord, le personnage d’Harry semble être seulement l'être aimé d’Adam mais en réalité son rôle est plus profond. Harry est un personnage enfermé dans tous les aspects de sa vie que ce soit physiquement ou mentalement. Il n’a pas d’amis comme il le dit. Il se sent en déconnexion avec le monde et ses proches. On peut voir cela avec sa première apparition derrière la vitre de son appartement. Il est piégé derrière une barrière invisible qu’il se met. Cette scène nous apprend également la profonde mélancolie que ressent ce personnage. Son appartement est plongé dans le bleu. Ainsi, Harry est enfermé dans une tristesse sans issue qui finira par l’emporter comme on le comprend à la fin du film. Ce personnage est le miroir d’un Adam d’une autre génération. Les deux se ressemblent dans leur mélancolie. Par ailleurs, il est intéressant de noter que Harry et le père d’Adam présentent de nombreuses similitudes. Tous deux ont une moustache, des yeux bleus, des cheveux de la même couleur. De plus, ils ont tous deux le même rôle auprès d’Adam: le rassurer et le protéger. Tous ces éléments ne présagent rien de bon pour ce personnage. La mort d’Harry reste un mystère concernant la date. Selon le moment où il est mort, on peut émettre deux théories différentes pour le reste du film. La première serait qu’il soit mort après être venu voir Adam pour ne pas rester seul. Étant sous alcool, ses sentiments les plus profonds remontent. Il ne veut pas être seul. Ainsi rejeté par Adam, il redescend dans l’enfer que représente son quotidien plongé dans le silence et la solitude. Rentrer chez Adam aurait été comme être accepté au paradis. Le deuxième théorie serait qu’il soit mort avant de rencontrer Adam. Les deux ne se seraient jamais vus. Cette théorie pourrait expliquer pourquoi Harry n’est pas sorti malgré l’alarme incendie qui retentissait. Il ne peut pas sortir de l’immeuble même si ce dernier est en feu car son fantôme est condamné à rester dans l’appartement. 


La rêve d’une relation qui n’arrivera jamais


La relation entre Harry et Adam tient une grande place dans le long métrage, cependant avons-nous réellement compris sa présence? Pour Adam, cette relation est rattachée au processus de deuil qu’il entreprend. En effet, il rencontre Harry au moment où il écrit sur ses parents, un moment où il cherche à s’émanciper inconsciemment de ce qui le retient de vivre. Adam évoque dans le film que la mort de ses parents l’a enfoncé dans la solitude qu’il ressentait déjà à l’origine. Ainsi, en cherchant à faire son deuil, il veut également se libérer de cette solitude. Par conséquent, une relation lui permet d’avancer dans son deuil. Il est intéressant de rajouter comme dit précédemment qu’il possède des caractéristiques physiques et mentales similaires à son père ce qui a permis à Adam de s’attacher inconsciemment à lui. Cette relation permet aux deux personnages de jouer cartes sur table avec leurs états d’âme. Pas de honte, juste de l'honnêteté dont les deux avaient besoin. 

En réalité, leur relation n’est que le fruit de l’imagination d’Adam. Si on prend la théorie selon laquelle Harry serait mort après être monté voir Adam, alors leur relation n’aurait pas pu avoir lieu. Ainsi, plongé dans une solitude et dans une recherche d’amour, Adam aurait imaginé une relation avec Harry si ce soir-là, il l’aurait laissé rentrer. On peut noter que Harry porte du rose lors de leur première rencontre. Cette couleur symbolise l'imagination. Ainsi, on comprend que ce personnage est imaginé par Adam. Si ce personnage ne vit que dans l’imaginaire d’Adam c’est que cette relation aussi se loge dans son imagination. L’irréalité de cette relation est pointée du doigt dans le long métrage lors d’une scène entre les deux protagonistes. Dans cette dernière, ils étaient assis sur le canapé et regardaient la télé à gauche de la caméra. En face de nous spectateurs se trouve la vitre où se reflète l’image de la télé. Ainsi le réalisateur nous invite à regarder ailleurs. Il veut qu’on regarde plus loin que leur relation. Il montre que cette relation n’est que la projection du désir d’Adam. On peut rapprocher cette scène au tableau de Magritte “La condition humaine”. Ce tableau comme cette scène cherche à faire comprendre que le réel et l’imagination du réel sont similaires. Cependant, il est important de les différencier. Ainsi, cette scène est un indice à cette tragique fin. De plus, cette immersion dans l’imaginaire est soulignée par Adam et sa mère lors d’une de leur discussion. Lors de cette dernière, Adam demande à sa mère si ce qui se passe est réel et en réponse elle lui dit que si pour lui ça semble réel c’est que ça l’est. Ainsi, Haigh met le doigt sur l’illusion d’une réalité qui est plus agréable à croire que notre vérité. On peut rapprocher à la théorie de Nietzsche qui dit qu’on se crée une vérité car elle nous est vitale. Sans elle nous n’avons pas de repère, nous sommes perdu. Parfois l’illusion d’une réalité meilleure vaut mieux qu’une réalité objective mais dénuée de bonheur. 


Le deuil: un voyage spirituel au sein de l’imaginaire


Au premier abord, on peut penser qu’il s’agit d’un mélodrame homosexuel mais c’est avant tout un film qui traite du deuil. Plus le sable du sablier tombe, plus le temps de la vie d’Adam glisse entre ses doigts. La prison que représente la solitude le ronge de l’intérieur et pour s’en émanciper, il faut qu’il fasse le deuil de ses parents. Quoi de mieux pour un écrivain que d'écrire pour surmonter ses traumatismes. Ainsi il va entreprendre un travail d’écriture qui lui permet de faire se rencontrer ses parents morts et lui à l’heure actuelle. Ainsi, le spectateur est plongé dans l’imaginaire d’Adam. L’entrée dans cet imaginaire se fait à travers le train. A chaque fois qu’il part voir ses parents, il prend le train. Le transport en commun symbolise ici un pont entre deux mondes: l’irréel et le réel. Au fur et à mesure de ce voyage, les trois protagonistes se découvrent et apprennent des autres. De plus, dès qu’il parle de ses parents, la lumière de la mort brille de plus en plus à l’écran. Cette lumière marque le progrès d’Adam. Lorsque Adam décide de montrer Harry à ses parents, on atteint le paroxysme du progrès. Il fait se rencontrer les deux bouts de sa création qui implique la destruction de l’irréel. En d’autres mots, quand deux choses irréelles entrent en contact, ce monde se déconstruit car il n’y a plus de stabilité et donc de logique. C’est pour cette raison que le train de l’acceptation à pour terminus le café d’enfance d’Adam. La lumière qui aveugle plusieurs scènes du film finit par devenir agréable et douce lorsque l’acceptation devient réalité. Dans la souffrance de l'au revoir, Adam et ses parents se rassurent mutuellement. 


Au coeur du monde intérieur


 Ce film est une sorte de lettre honnête à soi. Dans ses dialogues et sa construction, il est au cœur des pensées des personnages. Il ne prend pas de pincettes pour présenter leur malheur. Ces deux personnages sont le produit de deux générations différentes qui pourtant tentent de surmonter le même problème: la solitude. Comme s’il appartenait aux protagonistes, l’immeuble est à l’image de leur solitude. Le bâtiment est plongé dans un bleu profond et le silence qui dérange Harry. La solitude est quelque chose que beaucoup de personnes ressentent à un certain moment dans leur vie. Ce sentiment peut détruire selon qui le ressent. Sans jamais nous connaître aborde cette thématique sous différents aspects et en profondeur ce qui permet au spectateur de mieux la comprendre et d’avoir un regard extérieur. Par ailleurs, ce sentiment est pour eux renforcé par la façon dont la société traite l’homosexualité. Harry met en avant le fait qu’il soit catégorisé et pointé du doigt à cause de sa sexualité. Adam quant à lui met en avant le fait qu’il a pu subir des violences verbales ou autres à cause des stéréotypes sur sa sexualité. La question de la sexualité est aussi abordée en tant que sujet de discussion intergénérationnelle. De profondes réflexions et questions sont posées entre Adam et ses parents. Les parents sont surpris de voir les évolutions qu’il y a eu par rapport à l’homosexualité. Cependant cette découverte ne se fait pas de manière irrespectueuse ou homophobique. On a presque l’impression que ce sont des enfants qui découvrent une nouvelle matière à l’école. Il est intéressant de voir que ce qui nous choque ne choque pas les parents et inversement. Ce film représente aussi le moment des non-dits. Les protagonistes entre eux se disent des choses qu’ils auraient aimé dire à l’autre. On peut notamment penser à la discussion entre Adam et son père. Au cours de cette dernière, Adam lui demande pourquoi il n’est pas rentré dans sa chambre quand il l’entendait pleurer. Suite à cette question une vraie discussion sincère a pu débuter. Avec son imagination, Adam peut imaginer la relation qu’il aurait aimé avoir avec ses parents, ce qu’il aurait aimé entendre de leur part. Cette fausse relation lui permet de s’accepter tel qu’il est et sans artifice. Son père souligne cela lorsqu’il lui dit “je t’aime encore plus maintenant que je te connais”. Il est vrai que souvent la relation parent et enfant peut entraver une réelle connaissance de l’autre. Par conséquent, ses discussions ont pu mener à une réelle compréhension de l’autre et c’est ce que ressent son père dans la tête d’Adam. Il a appris à s’aimer pour ce qu'il est.


L’évolution à son paroxysme


Tel une rose, le long métrage possède une beauté esthétique mais ne cesse de nous piquer le cœur. Une fois avoir accepté la mort de ses parents, Adam se rend chez Harry. Le choc se traduit sur le visage du spectateur, Harry est mort depuis le début. L’appartement est plongé dans des couleurs lugubres et ternes. Une odeur nauséabonde entre dans les narines d’Adam. Ce dernier découvre son autre moitié allongée avec son pull rose et une bouteille d’alcool proche de lui. On comprend qu’il ne vient pas de mourir par la couleur de son pull mais aussi car il est en décomposition depuis un certain moment. La mort d’Harry a été annoncée à de nombreuses reprises dans le film. Durant le long métrage, on voit à différents moments des lumières rouges et bleues qui rappellent les sirènes de pompier et de police. On peut notamment penser au moment où Adam se lève sans Harry après la soirée et que ces lumières entrent dans le champ de l’image. Par ailleurs, ces lumières sortent Adam de son imagination. De plus, lorsqu’il rentre de la soirée avec Harry, Adam tousse et se bouche le nez lorsque Harry disparaît. Ce mouvement est le même qu’il fait lorsqu’il découvre symboliquement le corps d’Harry. Cette scène montre également son combat contre sa mélancolie qui remonte lorsque Harry n’est pas là. 

Beaucoup n’ont pas compris la mort de Harry mais en réalité cette dernière était très logique. Si cette relation permettait à Adam d’arriver progressivement à l’acceptation de la mort de ses parents, alors une fois cela fait, il n’a plus besoin d’imaginer cette relation. Par conséquent, il dit adieu à cette relation pour marquer une rupture avec son ancien lui. Si on reprend la théorie selon laquelle Harry est lié au père d’Adam, alors il est très logique que leur relation cesse quand il a fini son deuil. Harry a accompli son rôle, il a aidé Adam à sortir de sa solitude. Cela est confirmé lorsqu’il dit à Adam de ne pas laisser son coeur se nouer à nouveau. En accompagnant Harry vers la lumière, Adam l'aide à faire ce que lui n’avait pas réussi à faire pendant des années. Il rassure Harry comme il aurait aimé être rassuré. La boucle est bouclée. Cette mort est très symbolique et visuellement magnifique. Le dernier plan est l’enlacement de ces deux amants. Harry rejoint la lumière dans la même position dans laquelle il avait quitté ce monde. Cependant, cette fois-ci, il meurt entouré, dans le calme et dans l’amour. Ce couple recroquevillé dans l’amour devient une boule lumineuse qui se transforme en étoile dans le ciel. Ce dernier plan est tout simplement magnifique. D’un coup nous voyageons dans l’enfance à un moment précis, à une question que nous nous sommes tous posés: Ils vont où les gens qui meurent? Chaque étoile que l’on pointait du doigt à 8 ans a sa propre histoire. Cette image marque d’une part la paix intérieure des deux personnages mais aussi la mort symbolique de l’ancien Adam. 


Que retenir?


Le deuil n’est jamais un moment facile de la vie. Haigh invite le spectateur à comprendre que ce n’est pas une étape à faire seul. Parler avec les autres et travailler dessus peut permettre de mieux vivre la mort d’un proche. De plus, il tient à nous féliciter pour notre capacité à avancer dans la vie malgré les péripéties.

Parfois il vaut mieux agir même si nos peurs nous paralysent le corps. Le prix du remords est-il aussi cher payé que celui du regret?

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