The Substance, le corps féminin à l'épreuve du regard
- Sara
- 13 nov. 2024
- 4 min de lecture
Dénoncer le mâle gaze tout en offrant une critique acerbe de notre société capitaliste, voilà le défi que s'est lancée la réalisatrice française, Coralie Fargeat dans son nouveau chef d'oeuvre "The Substance"
Un film qui a plus qu'enthousiasmé le festival de Cannes, jusqu'à être récompensé en obtenant le prestigieux "Prix du scénario" en mai dernier.

Une mystérieuse substance vous promet une meilleure version de vous même, plus jeune, plus belle, plus désirable. Pour cela, il suffit "seulement" de se partager les semaines, un équilibre parfait de 7 journées chacune. Si ces instructions sont respectées, rien ne peut mal se passer, n'est ce pas Elisabeth ?
Présentatrice d'une émission de fitness, elle voit sa vie chamboulée à l'aube de sa cinquantième année. Sa "date de péremption" arrivée, un corps qui ne fait plus rêver les téléspectateurs, la voilà seule, sans travail, et face à sa propre réalité.
La substance fluo apparait alors comme l'ULTIME solution.
Après son auto injection, de sa chair naquit son double, Sue, incarnée par la remarquable Margaret Qualley. Sous cette nouvelle apparence, elle parvient à reconquérir sa place dans l'émission. Néanmoins, la posologie très stricte du produit semble rencardé au second plan de la nouvelle vie d'Elisasue, la tournant rapidement au cauchemar.

AGISME
Elisabeth Sparkle laissée comme véritable déchet humain sur le carrelage de sa salle de bain, métaphore puissante de l'abandon médiatique dont elle est victime. Son corps n'attirant plus le public, la voilà jetée dans la poubelle de l'oubli.
En parlant de corps, le sien est plus qu'omniprésent, puisqu'il s'agit presque d'un documentaire sur celui de Demi Moore (61 ans). Scrutée, épiée, comparée, le spectateur la voit dans son entièreté comme jamais elle n'avait été filmée. Ses rides, ses tâches, n'ont désormais plus aucun secret. Une véritable mise à nue (sans mauvais jeu de mots) de cet "ex" sex-symbole hollywoodien, ayant fait fantasmer des milliers de spectateurs dans des rôles tels que celui d'Erin Grant dans "Striptease".
Accepter d'incarner Elisabeth Sparkle à l'écran, c'est sortir de sa zone de confort, et laisser passer des tonnes de vulnérabilité. Un choix de rôle pour Demi Moore, qui ne fait qu'affirmer son titre de grande actrice.
Comment aborder la performance de Demi Moore, sans évoquer le lien explicite avec son histoire personnelle ? En effet, durant toute sa jeunesse, elle fut fétichisée, sexualisée, profondémement victime du regard masculin. Une fois la quarantaine arrivée, elle intéressait moins, elle était moins bankable, subissant, à l'instar d'Elisabeth Sparkle, l'abandon progressif des grandes productions. Un rapport entre "fiction" et réalité, qui ne fait qu'honorer son rôle et sa portée profondément féministe.
FÉMINISME
"Les jolies filles devraient toujours sourire"
Dixit Harvey 65 ans, homme blanc cisgenre hétéro, producteur de l'émission d'aérobic, roi de la télévision, et en prime, roi du machisme. Notre féminisme s'affolera à plusieurs reprises grâce à lui.
L'horreur du film se caractérise d'ailleurs plus dans son personnage, joué par Dennis Quaid que dans le contenu horrifique à proprement parler...Il affirme, entre deux crevettes dégoulinantes, "à 50 ans tout s'arrête", culotté pour un homme plus proche du centenaire que du demi siècle. Et pour autant, est ce que lui, a cessé de vivre ? Non, évidemment, car cette délicate affirmation ne s'applique qu'aux femmes.
Elisabeth Sparkle en a plus que fait les frais. Une semaine sur deux, lorsqu'elle était "elle", et non Sue, son appartement et la nourriture était sa seule compagnie, ne se sentant pas méritante de vivre et d'être vue, elle restait cloitrée la semaine entière à l'intérieure, en peignoir, n'attendant qu'une seule et unique chose: revêtir à nouveau le "costume" de Sue.
Aux antipodes, la semaine dans le corps de Sue (Margaret Qualley) est rythmée par une hypersexualisation constante, explicitée à travers les dizaines de plan de ses fesses (retouchées artificiellement). Reflet de la nécessité d'une validation extérieure et masculine, ne se sentant pas légitime d'exister à travers un autre regard que celui qui l'apparente à un objet sexuel.
Cette différence drastique de vie entre la semaine E et la semaine S, témoigne de la puissance/violence du regard d'autrui dans une société où l'esthétisme prime, poussant les moins armés d'entre nous vers l'autodestruction.
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Une représentation originale du féminisme qui pourrait laisser imaginer un rapprochement à celle du film de Yórgos Lánthimos "Pauvres Créatures" qui se ventait d’être un film féministe, mais qui finalement se trouve être bien plus profond, plus subtil et violent, parlant en réalité de l’impossibilité de sortir cette détermination sociale par laquelle nous sommes tous conditionnés.
ESTHÉTISME
Outre ces grands titres, regroupant les idées prépondérantes du film, l'esthétisme de ce dernier reste à souligner.
Un visuel et une colorimétrie monstrueusement riche: des plans cadrés qui jouent de leurs géométries, une dualité entre rouge et bleu, opposées tout le long du film, que ce soit dans les vêtements, les décors ou bien les accessoires, chacune des protagonistes ayant SA couleur.
TW: Spoilers
Comme si cela n'était pas suffisamment riche, le film est bourré de références cinématographiques, les plus flagrantes étant: Elisabeth totalement méconnaissable ressemblant à la mamie dans la scène culte de la salle de bain, du film "The Shinning" ou encore la scène qui a probablement explosé le budget du film, celle de fin, assimilable très facilement à "Carrie au bal du diable".
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La vieillissement à l'ère du numérique, un sujet trop peu évoqué dans l'univers mondial du septième art que Coralie Fargeat s'empare avec justesse dans "The Substance".
TW: autre spoiler
La perfection n'existe pas. La date de péremption non plus :)
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