Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma (2019) : le mythe d'Orphée et Eurydice sur la côte bretonne du XVIIIe siècle.
- Marine
- 11 mars 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 mars 2024
Après La naissances des pieuvres (2007), Tomboy (2011) et Bande de filles (2014), la
cinéaste Céline Sciamma revient sur le devant de la scène avec un drame romantique se
déroulant sur la côte Bretonne du XVIIIe siècle, Portrait de la jeune fille en feu (2019). Ce film reçu le prix du scénario du Festival de Cannes de 2019.
Marianne (Noémie Merlant), une jeune femme peintre, est chargée par une comtesse
(Valéria Golino) de réaliser le portrait de sa fille Héloïse (Adèle Haenel), tout juste sortie d’un
couvent et fiancée un noble italien. Cependant, Marianne est priée de taire son identité de
peintre, et doit alors réaliser le tableau en secret. Les deux jeunes femmes se lient
rapidement d’une amitié très forte, qui se transforme peu à peu en une passion amoureuse
intense et d’une douceur infinie.
Ce film est un exemple du female gaze (le regard féminin porté sur les personnages à
l’écran, et la manière de filmer leur corps) dans le cinéma français, de part l’usage de la
caméra qui semble épouser les corps sans pour autant paraître intrusive, mais aussi par la
non-présence de personnages masculin, absent durant la presque totalité du film, et bien
sûr, par l’histoire d’amour mise en scène, d’une douceur et d’une tendresse qui fera fondre
même les cœurs les plus froids.
Le masculin invisible :
Céline Sciamma fait le choix audacieux de n’inclure aucun personnage masculin dans le
film, il n’y a que des femmes. On peut cependant souligner l'exception de l’homme qui
emporte le tableau achevé à la fin, en l’enfermant dans une caisse de bois, comme
symbolisant l'emprisonnement d’Héloïse dans son mariage, par la gente masculine.
Héloïse est destinée au mariage avec un baron italien, et ce mariage apparaît comme une
condamnation. En effet, la sœur de cette dernière était destinée originellement au baron,
mais elle se jeta d’une falaise, laissant le fardeau du mariage à sa sœur Héloïse, que l’on
sortit du couvent.
On peut aussi noter l’avortement clandestin de Sophie (Luàna Bajrami), exécuté par des
femmes. Les femmes du film sont contraintes par les hommes et veulent à tout prix s’en
débarrasser de leur emprise sur elles, avec plus ou moins de succès.
Le mythe d'Eurydice et Orphée :
Lors d’une scène, les deux femmes discutent de la signification du mythe grec d’Eurydice et
Orphée. Orphée entraîne sa bien-aimée Eurydice hors des enfers, mais à l’unique condition
de ne pas la regarder avant d’avoir atteint le monde des vivants, ou il perdra Eurydice pour
toujours. Mais ce dernier, avant de faire le dernier pas, se retourne et Eurydice replonge
dans les entrailles du royaume d'Hadès (à la fin du film, Marianne expose un de ses tableaux,
représentant ce fameux mythe).
Dans cette scène, les deux femmes débattent sur les motivations d’Orphée à se retourner
et à renvoyer sa bien-aimée aux enfers. Elles expliquent qu’il fait le choix du souvenir
d’Eurydice, plutôt que de la ramener dans un monde où elle ne sera plus jamais la même, et
de vivre avec le regret de celle qu’il a connu et aimée auparavant.
Lorsque Marianne quitte le manoir, Héloïse, vêtue de sa robe de mariée, lui demande de se
retourner, comme l’aurait fait Eurydice.
Ce point de vue est très bien montré lors de la dernière scène, à l’Opéra. Un long zoom
avant se rapprochant du visage d’Héloïse, montrant son émotion en écoutant le morceau
l’été de Vivaldi, que Marianne lui avait un jour joué au clavecin. En tant que spectateur, nous
comprenons que le personnage fait le choix de vivre avec ses souvenirs heureux et de les
chérir, plutôt que de continuer à poursuivre un idéal inatteignable (sa vie avec Marianne).
Elle préfère le souvenir au regret.
Ce dernier plan laisse les spectateur.ices bouleversé, de par la performance d’Adèle Haenel,
mais aussi par les émotions que traverse son personnage durant ces quelques secondes.
Nous pouvons dire que ce long-métrage illustre parfaitement la théorie du female gaze, avec
des plans qui renvoient à une image picturale et une histoire d’amour qui mêle passion,
devoirs et souvenirs.
Il est temps de te questionner, cher.e lecteur.ice, qu’aurais-tu fait à la place d’Orphée ?
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