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"Ostinato ": raconter les TOC au cinéma

Luma Halbronn, étudiante en cinéma, fait la rencontre de l’histoire de Raphaël Blot au travers d’un épisode de podcast. Il y raconte comment sa vie fut longtemps dirigée par des TOC (Trouble Obsessionnel Compulsif), au travers de multiples règles et rituels. Intriguée par son histoire hors du commun, Luma retrouve le contact de Raphaël et décide d’adapter son histoire à l’écran, lors du Festival de Courts-métrages Objectif Censier, de l’université Sorbonne Nouvelle. 


Martin Pommier dans "Ostinato" (2024) de Luma Halbronn
Martin Pommier dans "Ostinato" (2024) de Luma Halbronn

Récompensé par deux prix, celui du public et celui de la mise en scène, Ostinato concourt aujourd’hui dans un nouveau festival, celui du concours de courts-métrages de fiction d’Arte. En mai dernier, nous sommes partis à la rencontre de Luma et Raphaël, qui ont accepté de nous raconter leurs parcours respectifs, l’histoire derrière Ostinato, sa réalisation et son avenir. Une rencontre importante pour notre association, portée sur les handicaps et maladies invisibles au cinéma. 



Des histoires et des mots

Les premiers signes des troubles de Raphaël apparaissent à l’âge de 14 ans, alors que ses parents sont en plein divorce. Pendant des années, il n’ose pas en parler autour de lui, il ne trouve pas les mots. C’est un sentiment de honte que Raphaël décrit lorsqu’il repense à son adolescence. Progressivement, il comprend et déduit qu’il souffre de TOC. 


“Les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) se traduisent par des obsessions (pensées dérangeantes, répétitives et incontrôlables), causant une forte anxiété. Celle-ci est atténuée par la mise en place de comportements répétitifs, irraisonnés et incontrôlables (les compulsions). Les TOC sont fréquents et débutent souvent avant l’âge de 25 ans.” (Via Ameli)


Cela prend des années avant qu’il ne franchisse le pas et demande de l’aide à des professionnels de santé. Depuis, Raphaël se dit “soigné” de ses troubles et partage son expérience personnelle au sein de l’AFTOC, l’Association Française des personnes souffrant de TOC, dont il est le vice-président. Régulièrement, l’association offre la possibilité de participer à des groupes de parole, ouverts à tous, personnes concernées par le trouble ou proches d’une personne concernée. L’AFTOC a également pour mission de sensibiliser le grand public, parmi les plus jeunes mais aussi parmi les politiciens qui possèdent les clés pour faire changer les regards sur les TOC et venir en aide aux personnes concernées. 


Lorsque Luma écoute l’histoire de Raphaël, sous la forme d’un épisode de podcast, elle imagine déjà son témoignage comme un film : “Dans sa façon de raconter, il y avait déjà quelque chose de très visuel, et la santé mentale était un sujet qui m’intéressait déjà”. Quelques mois plus tard, le festival Objectif Censier de la Sorbonne Nouvelle dévoile le thème de l’édition 2025 : “l’effet papillon”. Alors Luma repense à l’histoire de Raphaël et se lance dans un projet à la fois créatif et militant : représenter les TOC à l’écran. 


Raphaël accompagne la jeune réalisatrice dans ce projet cinématographique, qui en est déjà à la quatrième version de son scénario. L’accord et l’aide apportée par Raphaël sont des atouts précieux et essentiels dans la réalisation du court-métrage : “Je n’aurais jamais pu réaliser Ostinato sans l’accord de Raphaël. C’est un sujet délicat, je ne me serais pas sentie légitime d’adapter cette histoire sinon”. 

Lorsque Luma présente son projet aux autres membres participant au festival universitaire, la première question qu’on lui pose, et celle qui revient souvent, est précisément sur la légitimité de son approche : “Est-ce que tu es concernée par le sujet ? Est-ce que tu connais des gens qui sont concernés ? Est-ce que tu leur a parlé de ton scénario ?” Le regard critique de l’AFTOC est donc crucial pour consolider l’approche sérieuse et respectueuse du sujet. Ostinato n’a pas pour but de faire un reportage sensationnaliste et voyeuriste sur les TOC mais au contraire, de visibiliser le sujet et le rendre accessible à tous. 



Ostinato : “motif mélodique ou rythmique répété obstinément, généralement à la basse d’une œuvre”. 

C’est alors que naît Ostinato, un court-métrage de 9 minutes, qui suit l’histoire de Daniel (inspiré de Raphaël), sa vie rythmée par ses TOC et dont les effets (papillon) se répercutent sur ses proches, sa vie professionnelle et sa santé mentale. En voix off, un psychiatre et Daniel qui lui explique les raisons de sa venue.


Mais un seul vécu ne suffisait pas. Luma se rend donc à l’un des groupes de parole organisés par l’AFTOC en présence d’une partie de l’équipe du film, notamment les deux acteurs principaux : Martin Pommier (Daniel) et Sunny Rae Keller (Caroline, la petite amie de Daniel). “Chaque groupe est unique et crée un cadre particulier” précise Raphaël, “Les réunions sont organisées par des patients-experts. Elles n’ont pas vocation à donner des conseils médicaux. Elles ont pour but d’offrir un espace d’échange et d’écoute.” 

Participer à ce groupe de parole a par ailleurs aidé Martin Pommier à mieux comprendre les dynamiques entre les malades et leurs proches, sujet principal évoqué ce jour-là. “Cela permet de voir la réalité et la diversité des témoignages, au-delà de celui de Raphaël”, explique Luma. 


Ostinato n’est donc pas réellement une biographie de Raphaël, mais en est tout de même fortement inspiré. Cependant, Raphaël explique que son histoire est similaire à ce que beaucoup d’autres personnes ont vécu : situation familiale complexe, dynamique de couple tendue, honte à l’idée d’en parler, etc. Adapter son vécu devient alors une façon artistique de mettre en lumière tous ces récits souvent tabous. 

Et c’est d’autant plus important lorsque le gouvernement fait de la santé mentale la grande cause de 2025, sans parler des TOC. 2 à 3% de la population générale en est pourtant concernée, d’après une étude de l’INSERM en 2021 : Il s’agit de la 4ème maladie psychiatrique la plus fréquente après les phobies, les addictions et les troubles dépressifs. 



De l'invisible à l'écran

La première image qui vient à Luma en écoutant l’histoire de Raphaël est celle des chemises. En effet, la maladie de Raphaël l’empêche de porter des chemises, ce qui lui cause des complications à son travail, où il est contraint d’en porter. Lors d’un moment de rébellion contre ses TOC, il étale chacune de ses chemises dans son appartement. 


Pour transformer cet objet anodin, une simple chemise, en une source d’inconfort et de mal-être, il a fallu s’appuyer sur des ressorts visuels et sonores pour faire ressentir ces sentiments aux spectateurs. Luma décide alors de tourner cette scène en “top shot” : la caméra s’envole dans les airs pour filmer Daniel d’en haut, symbolisant ainsi sa prise de recul sur la situation, la réalisation de sa maladie et enfin, il reprend peu à peu le contrôle. Luma ajoute que ce plan est le seul en courte focale, le reste du court-métrage étant en longue focale. La raison de ce choix artistique était de rester à distance du personnage, le regarder de loin. Il n’est pas question “d’incarner” Daniel mais de partager et faire ressentir son expérience au spectateur, qui n’est pas forcément sensibilisé aux TOC. 


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Un autre moyen pour montrer la répétition et le cercle vicieux de la maladie est celui du montage alterné. Lors de la dispute entre Daniel et Caroline, des plans du lavage de mains obsessionnel de Daniel (l’un de ses rituels) s’insèrent entre eux, sur le plan visuel comme narratif. Daniel tente de reconquérir Caroline, qui n’arrive plus à gérer la situation, mais son trouble reste toujours en arrière-plan. C’est une pensée latente qui n’attend que de pouvoir s’exprimer à nouveau. 


La distance entre le couple est présente jusque dans leurs dialogues. Sunny Rae Keller parle couramment le français depuis 4 ans mais Luma préfère qu’elle s’exprime dans sa langue maternelle, l’anglais, pour le film : “Je voulais qu’elle parle avec le cœur, et donc, dans sa langue maternelle.” Daniel, en plus d’imposer son trouble, impose sa langue française. Parler anglais est donc une façon de renforcer la réaffirmation de Caroline dans son couple. 


Enfin, pour insister sur l’intensité de la maladie et pour montrer la souffrance que ressentent les personnes concernées, la colorimétrie est alors essentielle. Luma prend pour référence l’une des scènes de The Royal Tenenbaums (Wes Anderson, 2001) dont les couleurs vertes du lavabo se retrouvent de façon similaire dans Ostinato, sans pour autant avoir la même signification. Les personnages des deux films vivent une grande souffrance mais dans le court-métrage de Luma, le vert est utilisé pour insister sur l’aspect sale et repoussant du lavabo, qui est pourtant propre. Le trouble de Daniel déforme la réalité, provoquant une extrême angoisse. 

La musique, elle aussi, accompagne les sentiments des spectateurs. Produite par Théo Pellerin, la bande-son est angoissante et répétitive. Elle est conçue pour être dérangeante et amplifier le sentiment de malaise des spectateurs. 






Rares sont les films abordant les TOC. Et parmi ceux qui s’y sont essayés, la plupart en ont fait une représentation stigmatisante, à l’opposé du vécu des personnes concernées. Avec Ostinato, Luma montre qu’il est non seulement possible, mais aussi nécessaire, de représenter ce trouble au cinéma avec authenticité, sensibilité et créativité. 


Le concours de courts-métrages de fiction dans lequel participe Ostinato est encore ouvert aux votes du public jusqu’au 27 octobre. En plus de ce concours, Luma continue d’inscrire son court-métrage pour le faire vivre en festival et par la même occasion, de sensibiliser aux TOC. 

Lien pour visionner (et voter pour !) Ostinato : https://concoursfiction.arte.tv/film/ostinato/ 






Un grand merci à Luma et Raphaël de nous avoir accordé cet entretien. 


Merci pour cet échange et on espère de tout coeur qu’Ostinato pourra continuer à vivre en festival et bénéficier de la visibilité qu’il mérite amplement.

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