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Orange Mécanique: et l’humanité ?

"C'était horrible” dit Alex, le personnage principal d'Orange Mécanique, un constat que l'infirmière appuie avec sagesse : “Of course it was horrible. Violence is a very horrible thing.” Ah, la déchéance d'une figure violente aux nombreux privilèges ! Dangerous ! Qui aurait pensé que le chemin vers la rédemption serait pavé d’autant de leçons brutales ?

À travers trois temps narratifs — la violence, la "pseudo-guérison" et la vengeance — Kubrick explore les différentes manifestations de la violence et les dilemmes moraux qui en découlent. Ce faisant, il interroge les spectateur.rice.s sur les implications de cette violence, tout en déployant une ambivalence fascinante entre l'humanité et l’inhumanité. De quelle façon Kubrick parvient-il à déployer l’ambivalence entre l'humanité et l’inhumanité dans Orange Mécanique ?


Malcom McDowell dans l'Orange Mécanique

Les différentes manifestations de la violence

Dans Orange Mécanique, Stanley Kubrick nous plonge dans un univers où la violence prend des formes multiples, révélant une inhumanité omniprésente.

Le film met en lumière des violences systémiques, notamment à travers le personnage d'Alex et ses interactions en société. Les agressions sexuelles, comme les viols dont sont victimes certaines femmes dans le film, illustrent un système patriarcal qui exacerbe les schémas oppressifs présents dans cette représentation. Les personnes homosexuelles sont elles aussi ciblées, montrant ainsi comment les structures sociales peuvent perpétuer la violence. Ces violences s'inscrivent dans un cadre où les notions de privilège et d'oppression sont inextricablement liées, ce qui reflète des réflexions tout à fait contemporaines sur les dynamiques de pouvoir.

La dynamique de groupe joue également un rôle central dans le film, notamment à travers les interactions entre Alex et ses "frères". Le harcèlement et la violence de groupe interviennent dès le début, lorsque l’on se rend compte que leur activités de groupe consistent en des actes de violence brutaux: des vols, des agressions, des viols, etc. C’est d’ailleurs par les vols qu’ils commettent que les dynamiques de pouvoir au sein du groupe commencent à se manifester. En effet, Alex ne partage pas de façon équitable l’argent qu’ils volent et bizute ses camarades. A mesure que l’intrigue progresse, les tensions grimpent et c’est bien lui qui sera finalement exclu du groupe par un acte de violence inouï de la part des autres membres du groupe.

Kubrick dépeint aussi les violences au sein des systèmes institutionnels. Le système pénitentiaire présenté dans le film est un lieu de déshumanisation ou les détenus subissent des violences tant physiques que psychologiques. Les interactions d’Alex avec le personnel médical et les gardiens révèlent une hiérarchie oppressive. Une autre instance institutionnelle va échouer à le protéger, c’est la police, puisque les policiers qui viennent lui porter secours se révèleront être ses anciens complices qui l’isole et le noie. Au lieu d’être des figures de protection, ces institutions deviennent des instruments de contrôle, où l’humiliation et la terreur sont utilisées pour maintenir l’ordre voire même pour satisfaire des vengeances personnelles. La scène où Alex subit des traitements inhumains met en lumière cette maltraitance institutionnelle qui accroît le sentiment d'isolement et de déchéance du protagoniste.

L'environnement dans lequel évolue Alex contribue également à sa violence intérieure. La présence d'éléments déstabilisants — tels que les images pornographiques omniprésentes et le serpent dans son appartement — renforce une atmosphère de malaise. Les personnes qui l’entourent y participent également; entre un professeur déviant et une famille dysfonctionnelle à la dynamique marquée par des tensions et par l'absence totale de soutien. Ces éléments agissent comme une forme de violence psychologique, créant un cadre non sécurisant qui nourrit ses tendances violentes.

Enfin, le film aborde la violence politique. Les actions des figures d'autorité politique, comme le ministre de l'Intérieur, soulignent la manière dont le pouvoir peut être utilisé pour manipuler et contrôler les individus. Cette instrumentalisation de la violence politique déshumanise les citoyens, les réduisant à de simples instruments au service d'une idéologie ou d'une ambition personnelle.

Orange Mécanique nous confronte à une réalité dans laquelle l'inhumanité semble au premier abord prendre sa forme dans la violence, ici reine. Les plus grandes constructions de l’humanité seraient alors mises à mal par l’inhumanité. Cependant, on peut observer en décortiquant la violence présentée dans ce film, que cette violence paraît plutôt dépeinte par Kubrick comme nature de l'homme. La nature de l'homme serait ici pensée dans le sens d’homme “à l’état de nature” comme il a pu être théorisé par Thomas Hobbes. Inhérente à l’humain, la violence serait alors la figure même d’humanité.


La coexistence de la violence et d'une forme d'humanité

Le personnage d'Alex se présente dans Orange Mécanique comme une figure complexe, à la fois profondément violente et étonnamment humaine. Ce contraste est particulièrement frappant à travers son amour pour la musique classique, qui lui confère une sensibilité inédite, presque poignante. Malgré ses actes de brutalité, la passion d’Alex pour Beethoven lui permet d’évoquer une forme d’humanité.

Cette sensibilité qu’on retrouve chez Alex est accentuée par ses pensées suicidaires, qui révèlent une détresse psychologique non moins humanisante. Ces moments de vulnérabilité offrent au spectateur.rice un aperçu de son humanité, bien qu’en parallèle, il reste un individu aux comportements extrêmement violents. Les paroles d'Alex, telles que "et que cela pèse sur vos consciences" illustrent cette dualité : il est conscient de la souffrance qu’il inflige aux autres, ce qui, paradoxalement, le rend plus humain.

De plus, Alex effectue des gestes qui, tout en étant d’une immense brutalité, montrent parfois un certain degré d’empathie, comme lorsqu'il aide un sans-abri. Ce contraste saisissant souligne que même les personnages les plus déshumanisés peuvent avoir des moments de clarté morale; quand bien même Kubrick semble faire passer cette déshumanisation de Alex, pour une forme de folie, de perte de raison.

Cependant, cette humanité, trouvée dans d’infimes détails, paraît presque concédée par le.a spectateur.rice tant elle est peu évidente. Cela interroge la manière dont la perception de l’humanité d’Alex est, ou non, façonnée par le public. C’est en effet à travers notre propre regard que nous construisons cette humanité. L’attention qu’il reçoit de la part du spectateur, aussi parce qu’il est le protagoniste principal de ce film, humanise le personnage que l’on voit partout exercer la violence mais aussi la subir. Les scènes les moins humaines peuvent même, paradoxalement, éveiller une certaine empathie en nous. Cette dynamique soulève des questions essentielles: est-ce que le film cherche à provoquer cette humanisation chez le.a spectateur.rice ? En jouant sur les représentations d’Alex, le film nous pousse alors aussi à réfléchir sur notre capacité à voir ce que nous voulons comprendre.

Finalement, le contraste entre Alex et ses parents ou ses complices mérite également une certaine attention. Tandis qu’Alex est dépeint avec des nuances, ses parents et ses complices sont souvent représentés de manière plus manichéenne, ce qui appuie l’idée qu’Alex, malgré sa violence, possède une certaine profondeur.

Orange Mécanique propose une vision obscure de la nature humaine tout en nous confrontant à notre propre sensibilité et notre capacité à créer de l’humanité là où elle en est pourtant absente. Elle interroge : à quel point sommes-nous responsables de l’humanité que nous choisissons de voir chez autrui ? Et puis, finalement, l’humanité se retrouve donc chez le.a spectateur.ice, une vision donc très sécurisante voire cathartique de ce film qui rassure celui.celle qui le visionne.


Une réflexion sur la religion et le libre arbitre, symbolisés par la figure de l’aumônier

La thématique de la religion émerge alors enfin comme salvatrice de l’humanité dans ce film. La religion apparaît en effet comme un élément crucial, essentiellement à travers la figure de l'aumônier. Ce personnage, qui se distingue par sa stabilité et sa rationalité, devient un confident sûr pour Alex, incarnant une forme de moralité. À travers lui, le film soulève enfin la question fondamentale du libre arbitre. L’aumônier, en tant que figure religieuse, soulève des problématiques éthiques que d'autres personnages n'osent pas aborder, notamment l'absence de choix moral si l'on considère que le “traitement” qu’Alex suit lui retire toute possibilité de choisir entre le “bien” et le “mal” puisqu’il n’éprouve plus que de l’aversion pour le “mal” qui lui rappelle la torture des drogues qu’on lui infligeait (le “mal” ayant été associé par ce “traitement” à une immense douleur).

Cette réflexion interroge alors le film quant à son but: s'agit-il d'une morale religieuse ? La religion est-elle perçue comme la seule véritable salvatrice de l'humanité ? Ce postulat, bien que peu camouflé, laisse entrevoir une critique de la condition humaine, suggérant que la foi pourrait offrir une voie de rédemption.

L’aumônier parvient également à toucher Alex d'une manière qu'aucun personnage ne réussit, l’amenant à une remise en question de lui-même. Leur interaction peut tout de même être interprétée comme provenant d’une contrainte de bonne conduite d’Alex qui doit désespérément faire croire qu’il a la foi pour pouvoir participer au dit “traitement” et enfin quitter la prison. Cela fait presque écho au principe même de la foi mis en abyme (pourquoi la foi ? Celle-ci proviendrait d’une nécessité. Cela questionne la manière dont la foi est exploitée et donc sa nature même).

Alors, le film nous confronte à l'idée que, même dans un monde aussi déshumanisé que celui d'Alex, la religion et la moralité peuvent offrir des repères. La figure de l'aumônier devient une voix de raison dans un univers très violent. Cela invite le.a spectateur.rice à réfléchir au rôle de la religion, aux valeurs morales et au potentiel rédempteur de la foi.



Dans Orange Mécanique, la violence n'est pas simplement un élément de la nature humaine, mais aussi un facteur de construction sociale. Le film invite à distinguer l'état de nature de l'inhumanité.

Il s'agit d'une adaptation de 1971 d’un livre écrit en 1962 rédigée à propos d’un futur proche. Cette dystopie étant à propos d’un futur proche, elle semble apparaître comme un avertissement sur un avenir où la violence semble inéluctable. Ce futur, qui nous est présenté, incite à une introspection sur notre société actuelle, ses usages de la violence, mais aussi à celle de la religion. Les tentatives de rendre l'homme "lisse" (“comme libéré du mal”) et médicalement conforme par des traitements soulèvent des questions profondes sur notre humanité. Le film nous fait passer d'une forme de violence à une autre, encore plus percutante, nous tenant en haleine pendant 2h30. Son esthétique, bien que soigneusement pensée, cache alors des interrogations bien plus dérangeantes.




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