O Captain, My Captain !
- Océane
- 24 janv.
- 9 min de lecture
TW : spoilers
De magnifiques couleurs automnales, une performance réconfortante de Robin Williams et un rêve d'émancipation dans un monde restreint, c’est ceux à quoi s’attendre en appuyant sur le bouton play du Cercle des poètes disparus de Peter Weir sorti en 1989. Ce long métrage raconte l’histoire d’un groupe de lycéens de l’école prestigieuse et conservatrice de Welton qui rencontrent John Keating, un professeur de littérature aux méthodes peu communes interprété par Robin Williams qui leur fait découvrir la beauté de la littérature.

Une dualité dans l’éducation
La connaissance est un enjeux clé du film mais plus largement de la vie en général. Contrairement à ce que beaucoup pensent, la connaissance n’est pas nécessairement quelque chose dépourvu de changement. Au contraire, les recherches et les théories la font évoluer au quotidien et cette idée peut être perçue dans le film. Weir utilise la flamme pour symboliser la connaissance. Cette métaphore montre que telle une flamme, la connaissance est naissante et puissante puis petit à petit, elle perd en puissance car elle est remise en question. Ensuite, elle finit par s’éteindre car elle a été réfutée. De sa fumée en naît une autre flamme de la connaissance qui suivra à son tour le même chemin. Cette métaphore peut être perçue dans l’éducation. Par le biais de ce long métrage, Weir montre deux éducations en totale opposition dont une qui est l’évolution de l’autre. La première, celle qui est préconisée par l’établissement Welton et les autres écoles est traditionnelle et n’engage pas la réflexion de l’élève. Cette éducation peut grossièrement être comparée à du bourrage de crâne. On peut notamment penser à l’une des scènes au début du film où l’un des professeurs de langue morte fait répéter des mots à ses élèves sans voir si ces derniers les ont compris. Cette éducation ne produit pas un sentiment d’émancipation pour la jeunesse, bien au contraire, elle la force à se conformer. Par opposition, la deuxième éducation proposée par John Keating invite l’élève à s’émanciper, créer ses propres opinions et les partager. Cette différence de but est soulignée lors d’une scène entre Mr Nolan et Keating. Lors de cette dernière, Nolan dit à Keating que les traditions et la discipline sont plus importants que la réflexion. Un autre différence, importante à souligner, est le rapport de l’élève et du professeur dans ces deux éducations. Comme on l’a vu précédemment, l’éducation traditionnelle préconise un rapport hiérarchique, le professeur est donc en position de domination sur l’élève, c’est lui qui choisit qui parle et quand parler. Avec l’éducation de Keating, ce rapport s’équilibre. La classe ne fait qu’un, elle est une sorte d’équipe, une symbiose. L’idée de l’équipe est perçue dans le film à travers les nombreuses scènes où les élèves et le professeur font du sport pendant les cours de lettres. On peut également penser au moment où les élèves passent un à un pour lire leur poème et que Keating dit “nous ne rions pas de vous mais avec vous”. Par cette réplique, nous comprenons qu’il n’y a pas de rapport inégal mais aussi qu’il y a de la bienveillance.
L’identification du spectateur
Pour le spectateur, une identification se produit naturellement car chaque personnage incarne un type d’élève à l’école. On retrouve l’élève timide et angoissé à travers Todd interprété par Ethan Hawke, l’élève perturbateur et comique du groupe avec Charlie joué par Gale Hansen. Il y a également l’élève bon en tout, gentil et ayant des problèmes familiaux avec Neil interprété par Robert Sean Leonard. Nous retrouvons aussi Cameron, un adolescent qui a peur d’enfreindre les règles et qui est qualifié de faillot par ses amis. Par le biais du personnage de Knox Overstreet, Weir nous présente le nouveau sentiment de l’amour lors de l’adolescence. Knox rencontre Chris lors d’un dîner. C’est une adolescente blonde déjà en couple lorsqu’elle le rencontre. Knox la voit comme un ange tombée du ciel, ce qui est souligné par la couleur blanche de ses vêtements lors de leur première rencontre. Ce sentiment est dupliqué et non contrôlé par Knox et cela représente bien le premier amour de l’adolescent. Étant donné qu’il ne connaît pas ce sentiment, il ne sait pas le doser. A travers ce groupe composé de Todd, Neil, Charlie, Cameron et deux autres jeunes du nom de Steven (Meeks) et Gerard (Pitts), le spectateur s'immerge dans l’adolescence. Il vit ou revit en s’identifiant à un des personnages, la découverte de nouveaux sentiments tel que l’amour mais également il ressent des émotions classiques comme la joie ou encore la tristesse.
Comment comprendre le “carpe diem”?
Tout au long du film, nous entendons l’expression “carpe diem” au sens de cueille le jour présent, sans se soucier du lendemain, cependant quel est son réel sens? Cette expression prononcée par Keating va influencer ses élèves. Ils vont justifier toutes leurs actions positives ou négatives par cette expression. Du côté négatif, nous pouvons penser à plusieurs scènes, comme celle où Knox embrasse Chris sur le front lorsqu’elle dort. Cette scène est dominée par le rouge qui marque le désir brûlant qu’il éprouve pour elle, un désir qu’il justifie par ce fameux carpe diem. On peut également penser au canular de Charlie où il demande anonymement d’avoir des élèves filles dans l’école. Ainsi, peut-on réellement comme l’expression le dit agir sans se soucier des conséquences? Comme le dit Keating, il faut sucer la moelle de la vie mais pas en avaler l’os. Par ces mots, il faut comprendre qu’il faut agir sans se soucier des conséquences dans la mesure où l’action est déjà pensée. L’action ne doit pas blesser autrui. Il faut agir sans avoir peur mais pas agir sans réfléchir. Le carpe diem doit être quelque chose réellement voulu pour ne pas regretter plus tard et c’est pour cela que Keating leur en parle devant la photo d’ancien élève de l’école.
Le soir où les rêves se réalisent
Le soir de la représentation de la pièce Le songe d’une nuit d’été représente le moment où les rêves de différents protagonistes deviennent réalité. Le premier à vivre ce rêve est Knox. En effet, il obtient après négociation son rendez-vous avec Chris. Le second rêve qui devient réel est celui de Neil qui devient enfin acteur. L’idée du rêve est représentée dans cette partie du film à travers la neige qui tombe cette soirée-là. La neige est souvent symbole de rêve. Cependant ce rêve va se transformer en cauchemar. Tout le bonheur qui plane sur le film s’évapore petit à petit le soir de la représentation de la pièce. Cette soirée marque la mort de Neil et de son rêve de devenir acteur. Son père ayant assisté à la pièce, décide de l’envoyer finir ses études chez les militaires pour qu’il devienne médecin. Neil, plutôt que de vivre malheureux, préfère mourir avec le souvenir de son rêve accompli. Plusieurs fois dans le long métrage, Neil exprime que sa seule source de joie lui vient du théâtre. S’il ne peut pas faire ce qui le rend heureux, il préfère ne plus vivre plutôt que de continuer à jouer un rôle qui lui est douloureux à incarner. La scène de la mort de Neil tourne essentiellement autour du destin et du carpe diem au sens de ne pas se soucier des conséquences de nos actions. On peut notamment penser à un gros plan sur la clé du bureau de Mr Perry où se situe l’arme à feu. Ce plan permet de mettre l’accent sur la longue réflexion de Neil avant de commettre l'irréparable mais aussi sur les conséquences de nos décisions. Avant de se diriger dans le bureau de son père, il met une dernière fois la couronne de son personnage qu’il incarnait quelques heures auparavant. Il tire ainsi sa révérence avant que le rideau de sa vie se ferme à jamais et laisse tomber le masque d’une vie pour enfin trouver la paix.
La critique de l’adulte
Comme beaucoup de long métrage, celui-ci critique la figure de l’adulte et principalement celle du parent. Le père de Neil incarne principalement cette critique. Ce dernier apparaît comme le cauchemar de Neil. Toujours vêtu de couleurs sombres et tapissé dans l’ombre, il aspire toute la joie dans l’air respirée par Neil. Mr Perry projette ce qu’il aurait aimé avoir en termes d’éducation sur son fils alors que ce dernier ne désire pas être médecin. Il privilégie ainsi son bonheur à celui de son fils. Il met une pression immense sur son fils. Ici, Weir dénonce le manque de liberté que la jeunesse subi par leurs parents et notamment sur l’orientation professionnelle. Pour approfondir, le métier que l’enfant exerce est dès la naissance choisi par la famille car il est en réalité un héritage familial. Knox illustre parfaitement cela lorsque le père Danburry lui dit qu’il va suivre les mêmes pas que son père pour sa carrière. On peut donc en déduire que nos goûts sont étroitement liés à notre famille et donc notre milieu social. Ainsi, il ne choisit plus d’un choix libre, mais plutôt une obligation familiale inconsciente. On peut rapprocher cette pensée à celle de Bourdieu qui a consacré son travail à la place du milieu social dans la construction de l’individu. Nous retrouvons d’autres personnages tels que Nolan et les parents de Todd qui incarnent cette critique. Mr Nolan interprété par Norman Lloyd est un personnage autoritaire et conservateur. Il aime imposer son autorité. C’est également un personnage violent qui prend plaisir à blesser sa victime. On peut penser à la scène où Charlie se fait punir par la violence après son canular. Lors de cette dernière, Mr Nolan met des fessées à Charlie avec un objet en bois et lui demande de compter. Il frappe de plus en plus fort et nous voyons sur son visage une sorte de satisfaction. Par le biais de Mr Nolan, l’ancien système éducatif et le corps enseignant sont critiqués. Les parents de Todd sont eux aussi présentés de manière négative. En effet, ils sont perçus comme des parents qui ne se soucient pas réellement de leur fils. Il s’agit encore une fois d’une question d’image. Par exemple pour l’anniversaire de Todd, ses parents lui ont offert le même set de médecin que les années précédentes, comme-si ces derniers ne savaient pas qui était vraiment leur fils et qu’ils ne lui portent pas assez attention.
Quelle place pour l’émancipation et l’anticonformisme ?
La question du conformisme est centrale dans ce long métrage. Peter Weir remet en question le fait de suivre les codes sans les remettre en cause. Weir invite le spectateur à sortir des codes et à penser par soi-même. Cette invitation à sortir des codes est imagée dans le film par l’un des premiers cours de Mr Keating où il dit à ses élèves de déchirer l’introduction. Il leur demande de faire ça car elle contenait les codes et critères pour juger la poésie. Ainsi selon lui il faut déchirer et s’émanciper de ces codes pour apprécier la poésie. Il faut se créer sa propre opinion et non en suivre une qui n’est pas la nôtre. Il existe une seconde interprétation de cette scène. Cette scène met en lumière le manque de considération envers les lettres. Elles sont mal appréhendées par l’éducation et sont moins considérées que les sciences par exemple. C’est pourquoi, elle est jugée à travers des critères comme on le fait en science, hors imposer des critères objectifs enlève le caractère subjectif qui fait de la poésie de l’art. Ainsi, le but de Keating avec son enseignement est que chacun de ses élèves suivent son propre cœur et pas celui des autres. C’est ce qu’il cherche à expliquer avec son exercice où des élèves marchent ensemble. Lors de cet exercice, chacun avait au début sa démarche, puis ils ont tous fini par se conformer inconsciemment. Weir dénonce autre chose: le conformisme à cause de la peur. A la fin du long métrage, le groupe du cercle des poètes disparus sont contraints de trahir Keating, s’ils ne veulent pas, ils seront virés et donc leur futur sera mis en jeu. Ici, on comprend, que le conformisme n’est pas seulement quelque chose d’inconscient mais quelque chose de contraint. L’individu peut être forcé à se conformer par peur de la marginalité et des conséquences.
La projection du spectateur sur les personnages
La personnalité de l'homme est également questionnée. En tant que spectateur, par le biais du cinéma, nous projetons un idéal de personnalité et quand cet idéal n’est pas respecté, nous qualifions le personnage de mauvais. A travers la variété de personnage, le spectateur peut s’identifier à la plupart, cependant les personnages dit méchants sont rejetés par le public. Le personnage de Cameron illustre plutôt bien cette idée. Ce personnage peut être qualifié d'égoïste notamment lorsqu’on voit la trahison qu’il a commis à la fin du long métrage envers Mr Keating. Il va accuser son professeur de lettres d’être indirectement à l’origine du suicide de Neil pour qu’il ne soit pas en échange renvoyer. Cet acte nous révolte en tant que spectateur, cependant à sa place, qu’aurions-nous fait? En tant qu’humain, nous aurions fait la même chose. Nous le détestons car nous nous reconnaissons trop en lui. Si l’on regarde le long métrage, le seul personnage qui ne va pas céder à la tentation est Charlie, et ce choix du réalisateur n’est pas fait par hasard. Charlie demande à se faire appeler Nuwanda par les autres élèves. Ce mot signifie “cadeau de Dieu”. Ce surnom peut être sujet à différentes interprétations. Tout d’abord, ce surnom peut signifier qu’il n’est pas métaphoriquement un humain comme vous et moi. Il est en quelque sorte l’incarnation d’une force présente pour montrer la bonne direction à prendre. Nuwanda fait donc l’inverse de ce qu’un humain classique aurait fait. C’est pour cela qu’il arrive à résister à la pression de la société. L’autre interprétation concerne sa personnalité, ce surnom montre le fort égo de Charlie. Il se pense différent des autres, il refuse de faire comme tout le monde dans la majorité du film pour montrer son authenticité.
Que retenir?
Ce film culte est une lettre d’amour à l’art et plus précisément à l’écriture. Par les dialogues, Weir nous rappelle la beauté et la puissance des mots. Il met à l’honneur ses individus marginaux qui, par de simples mots, réussissent à exposer la complexité de l’humanité. Peter Weir invite le spectateur à suivre ses opinions, à s’émanciper pour atteindre la liberté et le bonheur.
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