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Nosferatu

Dernière mise à jour : 7 févr.

TW : spoilers, VSS, suicide


En tant que fan absolue de gothique, et spécifiquement de vampires, peu de choses peuvent m’enjouer plus qu’un film de vampires. Imaginez donc mon excitation et anticipation à l'arrivée en salle du Nosferatu de Robert Eggers. Pourtant mes attentes et standards pour le film étaient au plus bas. C’est un genre que j’aime bien, j’accepte tout, même Twilight. Alors comment Eggers, en cherchant à faire des belles images comme on fait des belles phrases, a-t-il réussi à autant décevoir?

Ellen Hutter interprété par Lily-Rose Depp, Nosferatu, 2024
Ellen Hutter interprété par Lily-Rose Depp, Nosferatu, 2024

Esthétique

Indéniablement, l’esthétique, le visuel, de ce film est réalisé avec une grande maîtrise. Eggers sait parfaitement utiliser l’obscurité pour donner cet aspect noir et oppressant durant tout le film, en montrant et dissimulant les éléments sans qu’ils soient perdus dans le noir. Un vrai tour de force de ce film est la sensation de froid couplée à cette obscurité. Que ce soit les scènes couvertes de neige glaciale où Thomas Hutter, interprété par Nicholas Hoult, voyage à travers les Carpates, ou les couloirs frigides du château de Orlok, le froid suit les personnages tout autant que l’obscurité. S’ajoute à ceci les couleurs, ternes, avec un fort contraste et peu de saturation. Celles-ci donnent l’impression de noir, de froid, de manque et aussi de noir et blanc, un des hommages aux films qui le précède. 


Parmi ces nombreux hommages est le détail, plutôt amusant, que tous ces personnages allemands parlent avec un accent anglais assez prononcé, ou en tout cas distinct. En effet, le Nosferatu dont s’inspire Eggers, Nosferatu, eine Symphonie des Grauens, réalisé par Friedrich Wilhelm Murnau en 1922, était adapté du roman Dracula de Bram Stoker sans autorisation. Donc au lieu d’être à Whitby, les protagonistes sont à Wisborg et tous les noms changent, sinon, les deux sont identiques à part que dans Nosferatu, Ellen se sacrifie pour détruire le vampire. C’est assez amusant que Eggers choisisse de garder cet aspect de l’histoire du film qu’il adapte. De nombreux hommages sont également faits aux adaptations précédentes de Dracula et du courant gothique dans lequel le roman a été écrit, comme ce plan de Thomas voyageant qui est une parfaite inversion de la peinture Le Voyageur contemplant une mer de nuages, emblématique de ce courant littéraire et artistique, de la découverte et du voyage comme illumination de l’esprit. 


 

Thomas Hutter interprété par Nicholas Hoult, Nosferatu, 2024
Thomas Hutter interprété par Nicholas Hoult, Nosferatu, 2024
Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich en 1818
Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich en 1818

         Cependant, cette connaissance, ces hommages, cette attention aux détails semblent assez performatifs. Par exemple, beaucoup de soin est apporté à l’ésotérisme autour des personnages du Professeur Albin Eberhart von Franz (Willem Dafoe) et Knock (Simon McBurney). Des symboles, rituels, et noms diaboliques et divins sont invoqués, mais à quoi bon ? Pourquoi faire ces références et utiliser cet ésotérisme si ce n’est que démonstratif, que pour « étaler sa science », montrer des choses sans explication ? Eggers sait le faire, il nous le prouve lors du rituel roumain que Thomas Hutter observe au pied du château de Orlok, qui est assez fidèle au folklore de la région, et sa fonction est claire. Ce rituel est pour tuer un vampire, Thomas est horrifié lorsqu’il la voit et le lendemain s’en souvient comme un rêve, ce sont les premiers signes pour lui de l’horreur qui l’attend avec le Comte Orlok. L’impression qui en ressort est une image travaillée, soignée, pour impressionner, que ce soit avec les décors, costumes, couleurs, détails historiques, ou les performances démonstratives de Lily-Rose Depp, tout est impressionnant mais avec un goût amer d’une mise en scène prétentieuse qui cherche à impressionner.



Métaphore maléfique

Lors de sa création, le vampire Dracula était une incarnation du Mal absolu, il était une métaphore de la peur de l’autre, des dangers des MST (Maladies Sexuellement Transmissibles) qui commençaient à ravager l’Angleterre et d’autres sous ce voile du Mal. Au fil des adaptations, ce monstre a été utilisé pour traiter de l’addiction, la puberté, le viol etc. C’est un véhicule parfait de métaphore, beaucoup de maux peuvent être dénoncés sous la guise du vampire. Quel est celui de Eggers ?

Un des thèmes du film est la remise en question de la science et de la compréhension occidentale du monde. Ellen décrit Nosferatu comme sa mélancolie, « melancholia », c’est un terme d’abord médical qui repose sur la compréhension du corps par les quatre humeurs, une théorie maintenant réfutée qui date de la Renaissance. Lors de l’époque Victorienne dans laquelle se déroule le film, le terme « melancholia » renvoie à ce qu’on appelle aujourd’hui la dépression. La manière dont le Docteur Sievers (Ralph Ineson) et Friedrich Harding (Aaron Taylor-Johnson) traitent et soignent Ellen pour ses visions, crises et somnambulisme peut paraître cruelle et médiévale pour un spectateur aujourd’hui. Elle est attachée, droguée, forcée de dormir dans son corset, elle ne peut plus sortir et personne ne la croit. Malheureusement, à part le corset, pas grand-chose n’a changé aujourd’hui, juste des antidépresseurs à la place de l’opium, mais les femmes sont toujours aussi peu écoutées par leurs médecins surtout lorsqu’il s’agit de santé mentale. Personne ne croit ni ne comprend ce que vit Ellen et elle se bat seule contre Nosferatu, sa mélancolie, sa dépression. Le Professeur Von Franz est le premier à l’écouter, il exige immédiatement qu’elle soit détachée et que l’on cesse de la droguer, il l’écoute et conclut qu’elle est possédée par un démon, Nosferatu. Hors, Nosferatu n’est pas un démon mais un sorcier mort-vivant, comme le disent les sœurs au couvent. Von Franz pose ce diagnostic en accord avec ses domaines d’études et applique ses solutions inefficaces sans en connaître réellement l’effet.

Le parallèle avec la santé mentale est d’autant plus inquiétant en regardant la fin du film. Dans ses rêves, Ellen se voit heureuse en épousant la Mort, elle a des pensées morbides et le Professeur, le seul à l’écouter vraiment, l’encourage à se sacrifier. Elle se rend à l’ultimatum que Nosferatu, la Mort, sa dépression, lui donne et, vraisemblablement, se suicide. Qu’est-ce qu’on est censé tirer de ça exactement ? On a rarement vu une telle romantisation du suicide, Ellen tue le Mal qui est en elle en se donnant (à) la mort et sauve ceux qu’elle aime du malheur qu’elle apporte.  


Peut-être que le vrai message de ce film ne se trouve pas dans les parallèles scientifiques mais dans le thème le plus évident, la sexualité et le désir, surtout féminin. Ceci n’est pas unique et spécial à ce film – dès le roman de Stoker, la question du désir féminin est diabolisée par Dracula – Nosferatu le fait juste de manière constante et explicite. Le Nosferatu de Eggers prend les traits animaliers du vampire et n’est qu’ « appétit », assez clairement il représente les appétits sexuels de Ellen. Elle le voit d’abord lorsqu’elle est jeune et qu’elle prie pour qu’un esprit comble sa solitude, un manque de compagnie qu’elle a, puis disparaît lorsqu’elle épouse Thomas et réapparaît lorsqu’il quitte son lit après leur noces. Même le personnage de Anna Harding (Emma Corrin) le reconnaît en attribuant le retour de la mélancolie de Ellen au départ de son mari. Encore une fois le message de Eggers est troublant, la seule chose qui peux sauver Ellen de son malheur est son mari, et ce qui incarne la sexualité de la femme incarne aussi le Mal absolue.


C’est dommage pour un film qui traite si ouvertement de la sexualité qu’il soit si peu attirant. L’apparence physique de Nosferatu n’a rien à voir là-dedans, elle est d’ailleurs assez géniale comme corps en cours de décomposition, l’attirance n’a pas forcément avoir avec le physique. Tout l’intérêt de voir cette histoire du point de vue de Ellen – qui aurait pu être un choix magnifique de « empowerment » de la femme – est le conflit interne entre séduction et répulsion. Hors ici, dès la première scène et tout le long, Ellen et le spectateur ne ressentent que de la répulsion pour Nosferatu. Oui, elle dit qu’elle se voit heureuse en épousant la Mort dans son rêve, mais ce qu’on ressent d’elle n’est que de la peur pour Thomas qui part et du dégoût pour ce Mal qu’elle voit. Elle ne pense à accepter d’être son épouse que comme stratégie pour le tuer et on ne sent jamais chez elle une réelle attirance envers ce monstre.


Intéressant que beaucoup de critiques voient ce film comme féministe. Oui, c’est le point de vue d’une femme, Ellen, dans une histoire qui est généralement vu du point de vue d’un homme, Thomas (ou Johnathan dans Dracula) et dans laquelle elle est typiquement vu comme une victime. Mais est-ce que voir l’histoire de son point de vue rend ce film féministe ? Est-ce qu’Ellen demeure une victime en se sacrifiant à Nosferatu, même si c’est son choix ? Tout ce que veut Nosferatu est que Ellen accepte de satisfaire son appétit et couche avec lui. Au final, il obtient ce qu’il veut, il en meurt après mais il a quand même obtenu ce qu’il voulait, et Ellen meurt aussi. Encore une fois, qu’est-ce qu’on est censé tirer de ça exactement ? Si une femme dit non il suffit d’insister et de menacer les gens qu’elle aime ? Parce que factuellement c’est ce que nous montre Eggers.


Gothique


Venons-en à ce qui est clairement moins important que les messages troublants que véhicule Nosferatu, mais qui fait bouillir mon sang, à titre personnel.


         Ce film est promu comme de l’horreur gothique. Horreur pourquoi pas mais gothique, il faut revoir des choses. Ce n’est pas parce que quelque chose à un vampire qu’elle est gothique. Ce n’est pas parce que quelque chose est pendant l’époque Victorienne qu’elle est gothique. Ce n’est pas parce que quelque chose se passe dans l’ombre qu’elle est gothique. Le film a des éléments qui relèvent du gothique mais dans sa réalisation et son intention ne l’est pas. Certaines scènes pourtant y tendent tellement bien. Lorsque Thomas Hutter est admis dans le château de Orlok, la figure de Nosferatu est dissimulée dans l’ombre, on n’aperçoit que sa silhouette ou dans le coin de l’œil. Dès son arrivée dans le village au pied du château, on sent que Thomas perd son ancrage dans la réalité, il divague, ne sait pas quand il somme et quand il est éveillé, de plus avec l’ambiance noire et grise, le temps défile sans réelle mesure. Ceci illustre parfaitement un des concepts fondateurs du gothique : l’étrange, « the uncanny », l’étrange dans le sens de quelque chose qui pourrait passer inaperçu, pourrait être normale si on ne regarde pas de trop près, un vague sentiment de quelque chose qui n’est pas tout à fait comme il doit être sans pouvoir mettre le doigt dessus. Lorsque Thomas explore le château, il s’aventure de plus en plus profond jusqu’à trouvé Nosferatu dans la crypte, dans le sous-sol, c’est une illustration parfaite de l’analogie entre une maison, ou un château, et l’esprit, où le Mal qui se cache dans notre inconscient, les instincts, les pulsions animales, les désirs, le « ça » est enfoui au plus profond.


         Il y a tellement à faire avec Dracula, car oui, Nosferatu est un Dracula, c’est un véhicule parfait de messages. Il peut-être l’anti-christ, un scientifique corrompu par l’hubris, un humain réduit à ses instincts par désir d’immortalité, il est l’immoralité incarné, il est le Mal et donc peut être utilisé pour faire toutes les critiques imaginables des Hommes et de la société. Qu’en fait Eggers ? Pourquoi faire un Dracula si c’est pour rien dire ? Allez voir la série Dracula de 2020, elle n’est pas 100% fidèle  au roman mais au moins elle prend ce véhicule incroyable de métaphore et se le réapproprie, raconte quelque chose avec, montre un angle de l’histoire qui n’a pas été vu avant, pas juste la même histoire avec la femme en personnage principal. Nosferatu est un film fait pour avoir l’air gothique, avoir l’esthétique gothique, qui est l’aspect le plus ennuyeux du genre. L’étrange est fondateur du gothique, l’inexplicable et inexpliqué, juste cette sensation que quelque chose n’est pas comme elle devrait être, hors ici tout est expliqué, tout le détail de l’ésotérisme est dévoilé, le plan, les intentions, le point de vu de Nosferatu sont tous expliqués minutieusement au spectateur. Tout ce qui doit déranger sans trop qu’on le remarque est ici ostensible, que ce soit le noir, le froid et les performances de Lily-Rose Depp. C’est trop démonstratif pour être gothique. Pour faire quelque chose de gothique il faut dire quelque chose, critiquer quelque chose, un trouver un vice, un mal universel qui est si familier que le voir ainsi incarner nous paralyse d’horreur.


         Ce qui détruit toute l’ambiance qui est si soigneusement fabriquée, et qui entrave réellement l’aspect gothique du film est le manque d’espoir. Ceci rejoint le problème de sur-explication. Il n’y a pas de mystère, on sait dès le début que Ellen à raison, que le mal vient d’elle et on suppose rapidement que ça ne va pas bien finir pour elle. C’est le manque de mystère. Mais le manque d’espoir est pire. Tout est condamné dès du départ, tout est noir et cela ne s’éclaircit très peu. Ellen est toujours mélancolique, on noie dans son malheur, même lorsqu’elle embrasse son mari avant qu’il ne parte, leurs corps sont rigides et la scène est froide malgré le feu dans la pièce. A aucun moment on ne sent de l’espoir, de la joie, du bien pour combattre le mal. Quand Thomas s’échappe du château, on le pense mort, pas d’espoir. Il est sauvé par les sœur, mais il reste sous l’emprise de l’ombre, pas d’espoir. Ellen est sauvée de sa mélancolie par son mari, on ne la voit pas joyeuse, on ne voit pas le temps de joie qu’elle a entre le moment où elle réveille Nosferatu et le moment où Thomas part. Pas d’espoir. C’est l’espoir qui nous tourmente et ce film en manque cruellement.

 

Ce film n’est pas mauvais, incroyable dans sa construction et mis à part des messages nébuleux il est plutôt bien, mais ce n’est certainement pas le chef-d’œuvre que l’on proclame. Pour une vraie, belle, ré-interprétation et création d’horreur gothique allez voir la mini-série La Chute de la maison Usher sur Netflix, adaptée à partir des histoires de Edgar Allen Poe. Et pour une histoire de vampire féminine, Carmilla, qui a servi comme inspiration pour Dracula, est un délice. 


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