Malédiction, Troubles et Traumas
- Jasmine
- 31 mars
- 5 min de lecture
C’est indéniable : l’horreur marche tellement mieux au féminin. Les Maudites (El Llanto) est le premier long-métrage du réalisateur espagnol Pedro Martin-Calero, sorti l’année dernière en Espagne et le mois prochain en France. Alors pourquoi ce nouveau film d’horreur, mettant en scène trois femmes liées entre elles, nous laisse un arrière-goût aussi amer ?
Mettre en scène la peur
Le film s’ouvre sur une séquence en boîte de nuit avec des flashs et effets stroboscopiques, venant saccader chaque mouvement des personnages, comme une danse endiablée. Et l’adjectif est bien choisi car le personnage principal (que nous retrouvons donc à la fin), Marie, semble possédée et se frappe contre les murs et le bar de la boîte de nuit. La séquence est tout particulièrement réussie, captant parfaitement l’attention du spectateur qui tente d’attraper la moindre information à chaque flash. De plus, la bande son suit les battements des enceintes de la boîte de nuit, rythmés par les flashs. La mise en scène est organique et chaque élément fait partie d’une même composition sonore et visuelle, d’un battement de cœur à l’unisson. Vient alors s’ajouter en plus, une musique extra diégétique qui ajoute une dimension encore plus dans la folie de la scène. Tout s’enchaîne alors très rapidement et le spectateur ni même les personnes dans la boîte de nuit ne comprennent ce qu’il se passe à cause des flashs, qui ne permettent pas de voir l’ensemble de la scène. Cet effet de surplu et de surstimulation sensorielle vient angoisser et effrayer le spectateur dès les premières minutes du film. Mais donner autant de palpitations dès la première scène n’est jamais bon signe. Le film devra se surpasser pour atteindre le niveau de cette séquence, sinon il n’y aura pas de tension (et c’est malheureusement ce qui se passera).
La première partie du film (suivant la séquence d’introduction) de part ses idées de mise en scène, nous tient encore en haleine. Nous suivons Andréa (la fille de Marie), persuadée qu’un homme la suit et suivait également son copain. Cet homme n’est visible qu’au travers d’une caméra. Alors, Andréa est incapable de s’endormir et de regarder autour d’elle sans avoir son téléphone portable. La mise en scène est à la fois simple mais sa réalisation est très précise ce qui rend les scènes particulièrement réussies. De plus, ne pas directement voir le “monstre”, ce vieillard étrangement pervers est très angoissant. Il est là, quelque part, tapis dans l’ombre et prêt à bondir sur vous, sans que nous ne puissions le voir.
Modèle classique d’un récit horrifique
Les Maudites sont trois femmes (ou plus) liées entre elles par une sorte d’entité violente et assoiffée de chair fraîche. Le film est raconté en trois temps, le début chronologique de l’histoire est raconté à la fin. Progressivement, le spectateur est perdu, ayant à la fois trop et pas assez de détails sur l’histoire racontée. La tension du récit chute rapidement après la première partie et sans jamais revenir.
L’histoire est assez basique : trois femmes, une fille, une stalkeuse et la mère de la fille sont toutes les trois persuadées qu’un vieil homme chauve les poursuit. Seul bémol : il n’est pas visible. Aussi, la fin nous l’apprendra, c’est lui qui a tué la mère de la mère. La grand-mère de la première fille donc. Si l’on met de côté l’âge du vieillard, la thématique du traumatisme générationnel est de plus en plus fréquente dans les films ces derniers temps. It Follows utilisait déjà cette métaphore du traumatisme et des VSS au travers de l’horreur, et c’était en 2014. Même les films d’animation pour enfants utilisent l’héritage “maudit” comme scénario, surtout Disney : Encanto (2021) et Alerte Rouge (2022) présentent tous les deux des héroïnes ayant une relation compliquée avec leur mère à cause d’un traumatisme et de conflits générationnels qui se transmettent au fur et à mesure. Il en est de même pour Les Maudites, c’est encore la faute des mères.
Plus douteux encore, l’explication donnée par les personnages du film est que les femmes de cette famille ont un “trouble mental”. Vraiment ? Alors, dans ce cas, toute l’histoire racontée sur un possible traumatisme ne serait pas la solution. Mais alors, si c’est un “trouble mental” qui rend les femmes “folles” dans cette famille, pourquoi est-ce qu’il y a un vieil homme qui les suit ? Peut-être qu’il est le fruit de leur imagination. Mais alors pourquoi est-ce qu’il tue le petit copain d’Andréa ? Concrètement, son petit ami ne servait à pas grand chose dans l’histoire, le tuer ne change rien et vient surtout embrouiller la logique du récit.
Fin ouverte… sur rien
Pour aller plus vite que le film (qui est bien trop lent), Marie arrive à entrer dans l’appartement où résiderait le vieillard / agresseur / imaginaire. Dans un plan copié-collé au Projet Blair Witch, nous découvrons plusieurs femmes contre les murs de l’appartement, visiblement mortes. Les zombies suivent Marie dans des mises en scènes très clichées du style : “Oh non, je n’arrive plus à allumer mon briquet pour voir dans le noir !”, elle essaie à plusieurs reprises d’allumer le briquet et à chaque tentative un corps de femme hurlant se rapproche d’elle. Dommage, quand le reste du film avait un scénario tout aussi vide mais avec une bonne mise en scène. Blair Witch rencontre Barbe Bleue et alors, plein de femmes, dont la mère de Marie, sont regroupées dans une pièce de l’appartement. Cette séquence est censée être le point culminant de l’effroi, peut-être même la résolution finale. Mais que nous apprend concrètement cette scène ? Rien.
Nous pourrions dire qu’il s’agit alors de nous faire notre propre hypothèse quant à l’identité de cette figure énigmatique du vieillard. Mais étant donné que les seules solutions plausibles sont balayées par les discours du film, la fin est trop ouverte. Discours par ailleurs un tantinet misogynes et validistes. En général, si vous prenez n’importe quel monstre ou antagoniste ayant un “trouble mental” le problème vient toujours de la mère. C’est une idée freudienne bien problématique qui continue de perdurer dans les films d’horreur et qui doit cesser. De plus, ne jamais spécifier de quel trouble mental souffre un personnage contribue à laisser le spectateur dans un flou volontaire de la part du réalisateur. On ne sait pas à quoi fait référence ce trouble mental mais dis donc, “pour imaginer qu’un homme poursuit et tue tout le monde, ça doit faire peur”. Le film participe à un discours psychophobique qui véhicule des stéréotypes sur les troubles mentaux notamment.
Mention spéciale aussi à toute la narration autour de la cinéaste en devenir qui stalke Marie. Sa partie du film apporte plus de Male Gaze qu’un avancement concret du récit.
On m’a dit un jour que si un film nous faisait nous poser trop de questions et que l’on ne comprenait pas, ce n’était pas forcément parce que nous n’avions pas les clés pour comprendre mais tout simplement parce que le scénario est raté. Si un spectateur ne peut pas comprendre le scénario, comment peut-il sincèrement apprécier le film ?
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