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Jeunesse (Le Printemps, 2024) - Wang Bing

Dernière mise à jour : 20 févr.

Le premier épisode de la nouvelle trilogie de Wang Bing, Jeunesse intitulé Le Printemps est sorti le trois janvier en France. Premier film du cinéaste chinois présenté à Cannes, Jeunesse prend place à Zhili, petite ville dortoir à cent-cinquante kilomètres de Shanghai dédiée à la confection textile. Nous y suivons des jeunes qui ont quitté leur campagne en quête d’une vie meilleure dans les quelques dix-huit mille ateliers que compte la ville. La vie de cette jeunesse est marquée par une cadence de travail infernale : onze heures par jour, six jours sur sept. Mais elle prend sens aussi à travers leurs espérances d’une vie meilleure, leurs amours, leurs amitiés, leur vie commune dans les ateliers et les dortoirs au-dessus des ateliers.



Là où le film le plus connu de Wang Bing À l’ouest des rails (2002) montrait une industrie en déliquescence et des ouvriers âgés désormais désœuvrés, Jeunesse dépeint ce que constitue une partie de l’industrie moderne chinoise à l’échelle de ces petits ateliers textiles, loin des grandes usines de l’imaginaire collectif. S’opère alors une véritable chorégraphie des ouvriers avec des gestes tellement rapides et précis que l’on croirait parfois l’image accélérée. Les jeunes n’hésitent pas à confronter leur patron colérique jusqu’à menacer de se mettre en grève. D’aucun trouveront les trois heures trente-cinq dissuasives mais Wang Bing a tourné sur plusieurs années et cette durée est nécessaire pour montrer l’évolution de ces jeunes, la répétitivité de leur travail, les ateliers qui font faillite et qui licencient à tour de bras que toute interruption trahirait nécessairement.


Wang Bing réussit brillamment à filmer le travail et un peuple, un peuple au travail, chose parfois -même souvent- mal faite au cinéma, romantisée.

La jeunesse est filmée comme faisant peuple à part entière. Loin de l’idée de représenter une jeunesse certes exploitée mais qui ferait preuve d’énergie, de joie de vivre ou de résilience, Wang Bing part de la singularité de ces ateliers textiles pour tendre vers un universel, que l’on perçoit dans les interactions de ces jeunes de notre âge. Ils ont moins de vingt ans parfois, se chambrent, se battent, se séduisent, font la fête : ils vivent en somme. Mais nous sentons tout de même, en filigrane de leur vie, l’aliénation de leur travail qui contamine leurs moments de joie qui semblent contingents au travail et non pas un moyen de s’en extraire. Il n’y a pas séparation entre leur vie commune et leur vie intime. C’est d’abord et avant tout dans leur travail que naissent les complicités. Fort heureusement, nous échappons à la lourdeur d’une classe ouvrière romantisée et à l’indigence d’user du « beau » pour qualifier le documentaire. Nulle voix-over non plus qui nous imposerait une esthétique et une morale ou pire, un message. Dans ce film, point d’exploitation de la misère ou du voyeurisme. L’image parle pour elle-même. Elle est brute et de la brutalité de ces ateliers textiles émerge une humanité collective, une tendresse observée avec pudeur et distance par le réalisateur.


À travers sa mise en scène et son montage, Wang Bing prend le coton disparate du réel de ces ateliers, en apparence différents, et les tissent entre eux à travers la dialectique de son montage qui unit les corps du labeur ouvrier et les sentiments de leur être profond. Wang Bing reste définitivement l’un des rares documentaristes à capturer le hasard du réel d’un monde tel qu’il est, tout en réussissant à s’attarder sur des instants que sa mise en scène ne trahit jamais.

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