Good One, naturaliste, féministe et réaliste.
- Marine
- il y a 5 jours
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Présenté au Festival de Cannes 2024 et premier long-métrage de sa réalisatrice India Donaldson, ce bijou du cinéma indépendant états-unien allie un minimalisme bucolique faisant penser à Kelly Reichardt (Old Joy), et une tonalité de coming of age à la Lady Bird de Greta Gerwig.
Sam (Lily Collias), une adolescente de 17 ans, part en randonnée dans les bois en compagnie de son père Chris (James Le Gros), et de Matt (Danny McCarthy), le meilleur ami de celui-ci. Au fil du périple, la tension entre Sam et ses aînés monte comme dans une cocotte minute, sans que celle-ci soit dite ou mise en scène de manière explicite. De longs plans suivent l'errance des personnages, s'accordent au rythme de leurs pas, captent le craquement des feuilles sous leurs chaussures et le bruit de la pluie sur la toile de tente. India Donaldson présente l'ennui comme un moteur narratif qui permet de creuser et révéler ce qui se cache en dessous des apparences. Un mot, un geste, une action si minime soit-elle, dévoile tout un sous-texte troublant qui laisse le.a spectateur.ice dans un état de sidération et de révolte.
Un fossé générationnel :
Le récit est basé sur la dynamique du trio qu'on Sam, Chris et Matt, le fils de ce dernier ayant refusé de partir en voyage avec elle.eux. Sam est donc la seule ado. Rapidement un déséquilibre parmi les personnages installe un sentiment de malaise. Même si Chris et Matt font mine de s'intéresser à Sam, on perçoit leur désarroi face à une génération qu'il ne comprennent plus. Ce fossé générationnel occasionne des situations plutôt comique, comme lorsque les trois sont au restaurant. Qu'elle n'est pas la surprise de son père, qui, la croyant végétarienne - et sûrement lesbienne, quitte à rester dans les clichés - s'étonne quand Sam commande un burger. Sam est perçue comme un archétype de sa génération, sans que ses véritables préoccupations ne fassent l’objet d’interrogations. Elle s’étonne alors lorsque que son père lui pose enfin une question, bien après le début de la randonnée.
A travers ces dialogues mêlés d’humour et de médiocrité, la réalisatrice se livre dans des conversations qu'elle aurait souhaité avoir étant jeune. Sur le chemin, Chris et Matt échangent sur ce qu’ils feraient s’ils avaient la possibilité d’avoir une nouvelle vie. Ils retournent la question à Sam qui leur fait remarquer qu’elle est seulement au début de la sienne (elle est sur le point de commencer l’université). Le film donne à réfléchir sur cette question, comment communiquer entre enfants et parents, malgré le passage du temps ?
L'ombre omniprésente du sexisme ordinaire :
Se retrouvant seule avec deux hommes bien plus âgés, Sam reste en retrait, se contentant d’observer. Un mélange d’ennui et d’embarras la traverse, face à la virilité balourde des deux hommes. Aussi, elle semble témoigner pour eux une forme de compassion, voire d’affection. A l'image du film lui-même, Chris et Matt semblent inoffensifs. Pourtant, via la trivialité des échanges, il est clair que ce sont deux hommes frustrés, incapables de voir au-delà d’eux-mêmes, ils ressassent leurs échecs professionnels et amoureux.
L'athmosphère plutôt paisible du film bascule toutefois vers le troisième tiers. Un soir où Matt et Sam bavardent au coin du feu, une réplique profondément ambiguë fait ressurgir la menace tapie dans la misogynie ordinaire. En tant que spectateur.ice, notre vigilance s'émousse, si bien que cet incident nous procure le même effet de sidération qu’il provoque sur la protagoniste.
Le renversement du pouvoir :
Good One réussit à révéler ce que l’anecdotique recouvre d’intolérable. Le récit d’émancipation qui suit, est d'autant plus affirmé et révolté puisqu'il s'apparente à une sortie de route inattendue. Lorsque son père et Matt se baignent dans une rivière, Sam décide de fuir, terminant seule le bout de chemin restant jusqu'au parking. Avant de partir, elle rempli leurs sac de cailloux. Arrivée à la voiture, elle tente d'ouvrir la portière mais celle-ci reste bloquée. Sam n'a pas les clés, et se résigne alors à les attendre. Lorsque les deux hommes arrivent, son père lui propose de conduire jusqu'à la maison. Une fois montée seule dans la voiture, Sam verrouille les portières de l'intérieure, et hésite à partir sans eux, les laissant bredouilles sur le parking.
Avec son film India Donaldson signe une oeuvre où la lenteur paisible de la caméra cache un sous-texte beaucoup plus tranchant, qui peut basculer au moindre faux pas.
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